Une nouvelle section animée par vous et pour vous, elle va nous permettre de revisiter l’histoire cheminote. Celle d’il y a 10, 20, 30, 40 ans…
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64) Onze minutes de moins et une arrivée en direct à la télé (cet article a été publié dans La Vie du Rail il y a 18 ans)
Opération Sardine n° 2. Onze minutes de moins et une arrivée en direct à la télé. Le 19 mai, la rame 531 avait effectué le trajet Calais – Marseille en 3h40’45”. Une semaine plus tard, la tentative officielle se soldait par un record historique de 3h29’50”, qui faisait l’ouverture des journaux télévisés du soir. La journée fut très chaude pour tout le monde.
Il faisait déjà chaud à Calais. Dehors, à quelques centaines de mètres du cap Blanc-Nez, un vent venu de la Manche ou de la mer du Nord, on ne sait pas vraiment de laquelle des deux puisque c’est dans les parages que la géographie a scellé leur frontière, en tout cas un vent plutôt bienvenu évitait tout juste aux invités de la SNCF de se croire déjà dans le Sud. C’est bien à Calais, qui se console de ses déboires sociaux par les souvenirs d’une gloire footballistique à faire rêver les supporters de l’OM, que 100 journalistes, de nombreux invités d’Alstom, les gagnants d’un jeu TGV Med sur RTL et l’état-major de la SNCF au grand complet étaient conviés ce samedi 26 mai pour l’opération Sardine n° 2. L’huissier aussi était là.
Un déjeuner face à la mer pour bien ancrer le symbole : d’une mer l’autre, 1 067,2 km à parcourir au plus vite dans une rame commerciale à peine améliorée, sans bousculer ou si peu le trafic habituel de ce samedi calme coincé entre le jeudi de l’Ascension et les retours du dimanche. L’essai du samedi précédent, auquel La Vie du Rail avait été conviée, s’était soldé par un résultat certes spectaculaire et apprécié à sa juste valeur (3 heures 41, 306,12 km/h sur 1 000 km). Mais en insistant, les protagonistes de l’opération avouaient qu’ils avaient espéré mieux, et notamment un chiffre qui marque les esprits : 3 heures 33… Alors, pendant que les futurs témoins-voyageurs écoutaient l’huissier raconter passionnément son Sud à l’aide d’un vin du Var qui sentait bon la garrigue, les ingénieurs du Centre d’essai ferroviaire, les conducteurs et toute l’équipe d’organisation s’affairaient autour de la vedette, la rame 531. En une semaine, peu de choses avaient été changées sur la rame elle-même. Juste quelques ajustements, notamment pour essayer d’éviter une montée en température trop importante des réducteurs. L’essentiel de l’effort avait porté sur les endroits du parcours qui avaient occasionné des ralentissements pénalisants : dans la Somme à cause de l’apparition de cloches de fontis sous la voie, et à l’arrivée à Marseille du fait d’un feu jaune après le tunnel. Mais avant le départ à 16h30, la voie était annoncée « dégagée ». Guillaume Pepy, directeur général délégué Clientèles, rendra plus tard un hommage appuyé à l’Équipement.
Les caméras de TF1, France 2, Canal+, CNN et autres furent les dernières à rejoindre l’intérieur de la rame. Il ne fallait pas rater le départ : Jean-Luc Romain, un habitué de la LGV Nord, passa de 0 à 330 km/h en 6’30”. D’entrée la performance était optimale, et dans la rame le ton était donné, d’autant que pour la première fois, Louis Gallois employait le mot record, et délaissait les pudiques termes de marche d’endurance.
Que dire, ensuite, du trajet lui-même ? Jusqu’à la LN5, pas grand-chose : la gare de Lille-Europe traversée à 200 km/h, un drôle de soubresaut dans la Somme (dû un affaissement de terrain ?), et une LGV Sud-Est à 330 km/h en plaine… En fait, une impressionnante régularité (voir graphique dans le caroussel de photos ci-dessus), grâce à une exceptionnelle maîtrise du captage électrique par les conducteurs. Dans la rame, le spectacle était sur les écrans. Dans chaque voiture, des écrans renvoyaient des images de l’exploit qui s’annonçait (voir petit texte ci-dessous). Les voyageurs étaient spectateurs de leur propre « aventure », les yeux rivés sur les images et les indicateurs du parcours, à tel point que lorsqu’un clip à la gloire de la LN5 interrompit l’affichage du nombre de kilomètres et de la vitesse instantanée, la bronca menaça…
Dans les couloirs, la tension augmentait à mesure que le tableau de marche de la semaine précédente était pulvérisé, et que les spécialités des contrées traversées étaient proposées aux témoins-voyageurs.
À Valence, l’ambiance changea encore. La plupart des voyageurs découvraient la ligne nouvelle, et le suspense augmentait quant à l’heure d’arrivée à Saint-Charles : avant ou après 20h ? Augustin Burgarella, assurément, voulait descendre sous les 3 heures 30.
« Bubu » nous le confia effectivement à l’arrivée, il s’en serait voulu de ne pas réussir cette performance…
Les derniers trois quarts d’heure furent une longue course à 350 km/h vers la mer, de viaduc en bow string, du Palais des Papes à la Montagne Sainte-Victoire, avec comme final le tunnel ferroviaire le plus long de France (près de 8 km) entré à 250 km/h, et déjà, la gare Saint-Charles, un peu avant 20h.
Finalement, c’est France 2 qui eut l’arrivée en direct dans le générique du 20 heures et le traitement le plus complet du record, TF1 se contentant d’une couverture plus réduite pour cause de finale de la coupe de France de foot… Une joyeuse cohue par une température encore bien supérieure à 20 °C entoura les conducteurs et le CTT. Le chiffre officiel du record, homologué par un huissier revigoré par le retour au pays : 3h29’50”. Mais aussi 1 000 km lancés à la moyenne de 317,46 km/h, une pointe à 366,6 km/h, un président Gallois buvant le champagne à la bouteille, des ados de Marseille jouant des coudes pour passer à la télé.
Et à la sortie du quai, une gare Saint-Charles dans les gravats, les échafaudages et le ciment frais. La dernière ligne droite du TGV Med s’annonçait encore longue.
Les chiffres du record du 26 mai
• 1 067,2 km en 3h29’50”
• 1 000 km lancés à la moyenne de 317,46 km/h en 3h9’
• Vitesse instantanée maximale : 366,6 km/h
Le pari gagné de Philippe Mirville
Trente ans de carrière de cheminot, débutée à 18 ans en accrochant des wagons en gare de Château-Thierry. Un père cheminot. Un grand-père cheminot. Une passion pour tout ce qui tourne autour du rail. On pourrait songer à un déroulement de film classique, et pourtant… Ce 26 mai, Philippe Mirville a vécu sa journée extraordinaire. « C’est un peu le couronnement d’une carrière, même si elle n’est pas terminée. Je n’aurais jamais pensé qu’une telle idée soit reprise par l’ensemble des personnes qui ont travaillé sur ce projet. » Cette idée, son idée de départ, celle dont il a rêvé et qui s’est réalisée, c’est ce record.
« C’est une formidable aventure dans une entreprise à taille humaine, avant tout une histoire de confiance, partie d’une discussion un soir autour d’une table avec Michel Pronost (spécialiste de la communication autour du projet de TGV Méditerranée). Nous y avons travaillé. Guillaume Pepy (directeur délégué Clientèles) a dit banco : c’est une idée totalement folle mais si tu est sûr de ce que tu fais, on y va. Et le président a retenu le projet. »
Pari gagné : « Quand tout le monde, infrastructures, matériel, traction… se met ensemble autour d’un projet idéaliste, tel ce record du monde, on abat les barrières entre services, tout le monde travaille dans un même but et l’on arrive tous à se sublimer. Cela peut prouver que le chemin de fer a un avenir à une autre échelle. Cela montre sa jeunesse à son entrée dans le XXIe siècle. » Philippe Mirville le dit tout net : « C’est le plus important moment de ma vie… dans ma carrière. Énormément d’émotion. En gare de Marseille, je me suis demandé si c’était vrai. Je ne peux rien attendre de mieux… »
P. G.
« Loft story »… sur les rails
Il y a les 11 caméras, trois placées en motrice avant, deux en motrice arrière, deux pour filmer l’intérieur du laboratoire, une pour la surveillance du pantographe, une mobile pour scruter par le menu le détail du travail, deux en voiture 2 sur le plateau d’interview installé là – presque – comme à la télé…
Et puis il y a la Régie vidéo qui diffuse, sans interruption, sur les 25 moniteurs à cristaux liquides disséminés dans la rame un programme sélectionné à partir des 11 caméras… Pour ce record du monde, en prélude à l’inauguration du TGV Méditerranée, le Centre audiovisuel de la SNCF a joué avec une franche réussite le très grand spectacle « en direct », techniquement orchestré par Christian Beun. Parmi les défis relevés, inédits, figure la réalisation d’une émission en télévision numérique – offrant, par rapport au câble, toute liberté de déplacement – dans un TGV en mouvement.
En direct, le CAV a pu fournir en self-service, avec montage, dans une voiture-bar devenue le point de rendez-vous de toutes les télés, une dizaine de chaînes de télévision. Et tous les spectateurs d’un jour ont pu être les témoins privilégiés de l’ensemble des événements se passant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la rame, de la cabine de conduite au pantographe. « Comme le spectateur n’est plus passif, il a tendance à participer, et tout le train se trouve naturellement animé », se réjouit Jacques Pagniez, chef du projet. À concrétiser le jour de l’inauguration.
Pascal GRASSART
Cet article est tiré du numéro 2800 de La Vie du Rail paru le 6 juin 2001 dont voici la couverture :