En vertu de la loi pour le nouveau pacte ferroviaire, une transformation de la SNCF est en cours, avec la création de quatre sociétés anonymes remplaçant les trois Epic. Leur mise en place est prévue pour janvier 2020, mais déjà les liens entre elles font débat.
Un changement « radical ». C’est ainsi que Guillaume Pepy voit la nouvelle organisation qui va se mettre en place à partir du 1er janvier 2020, comme le prévoit la loi pour le nouveau pacte ferroviaire. « La SNCF de 1937 est en train de disparaître pour la SNCF de 2020 », estime le président du directoire du groupe public ferroviaire.
Le temps est compté pour mener à bien ce chantier et créer les quatre sociétés anonymes qui vont remplacer les établissements publics industriels et commerciaux (Epic). On sait déjà que la maison mère, baptisée SNCF, gardera les quelque 8 500 salariés réunis actuellement dans l’Epic de tête (3 000 agents de la Sûreté générale, la Juge, 3 000 salariés des centres de services partagés comme la paie par exemple, les agents de SNCF Immobilier ainsi que ceux du service informatique et les fonctions de tête comme la direction de la Communication). Un choix pragmatique car ce serait trop compliqué de tout changer d’ici au 1er janvier prochain, explique-t-on à la SNCF.
Il faudra supprimer des emplois
« La société mère sera chargée du pilotage stratégique et économique sur le long terme », indique Guillaume Pepy. Quelques salariés rejoindront donc cette structure comme ceux qui s’occupent de la stratégie à SNCF Mobilités ou ceux des services financiers de Mobilités et de SNCF Réseau. « Il y aura un mouvement de salariés au 1er janvier, mais cela concernera une minorité d’entre eux », précise Alain Picard, le directeur général de SNCF Logistics, également directeur général de l’Epic SNCF. C’est lui qui est chargé du dossier de la réorganisation du groupe ferroviaire. « Il va falloir éviter les redondances et réaliser des gains de productivité. Il y a sans doute des économies très importantes à faire », estime Guillaume Pepy en reconnaissant qu’il faudra forcément supprimer des emplois.
Cette société anonyme de tête détiendra 100 % de SNCF Réseau, qui sera à la fois sous son influence et gardera son autonomie sur ses missions essentielles comme l’attribution des sillons. Dans cette organisation, il est prévu que SNCF Réseau soit le pivot du système ferroviaire (lire notre dossier consacré à la montée en puissance de SNCF Réseau, dans le n° 3719 de La Vie du Rail). Le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire possédera 100 % de la société anonyme Gares & Connexions. De son côté, la société mère détiendra aussi 100 % de Geodis, 62 % de Keolis et 100 % du transport de marchandises.
SNCF Mobilités disparaît
Une quatrième société anonyme prendra le nom de SNCF Voyageurs et rassemblera les activités de TGV, d’Intercités, de TER et de Transilien. Avant même la publication des ordonnances sur la nouvelle gouvernance du groupe public ferroviaire, la direction de la SNCF a programmé la fin de l’éphémère SNCF Mobilités qui coiffait jusqu’alors Keolis, Geodis et Fret SNCF. « Ainsi, on sait exactement qui fait quoi et on disposera d’une vision claire sur les missions de chaque SA. C’en est donc fini des trois Epic qui sont interdépendants », commente Guillaume Pepy.
Pour certains opérateurs concurrents, le dispositif imaginé par le groupe ferroviaire reviendra finalement à faire absorber les activités opérationnelles de SNCF Mobilités par la future SA de tête, puis à faire de SNCF Réseau sa filiale. « Ma seule inquiétude, c’est que SNCF Réseau ne garde pas l’indépendance qu’il dit avoir », indique Thierry Mallet, le PDG de Transdev.
De son côté, Thierry Marty, administrateur Unsa à SNCF Mobilités, pense que la réorganisation se fera en plusieurs étapes. Selon lui, dans un premier temps, la SNCF et SNCF Mobilités vont fusionner. Dans un deuxième temps, cette société sera découpée en quatre sociétés anonymes. Dans un troisième temps, SNCF Réseau sera transformé en SA, puis Gares & Connexions lui sera rattaché. Le syndicaliste estime aussi que la réorganisation du groupe se heurte à plusieurs risques, juridique, financier et social. « Pour l’examen par les conseils d’administration du projet d’entreprise, le commissaire du gouvernement a demandé de ne pas mettre à l’ordre du jour les trajectoires financières de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau qui sous-tendent le projet », raconte-t-il. Et de s’interroger : « Est-il raisonnable que le conseil de surveillance du 29 mars ait validé les orientations stratégiques du groupe public SNCF, dans le cadre du Projet d’Entreprise (1), sans visibilité économique ? »
Thierry Marty s’inquiète aussi de la « viabilité économique » de SNCF Réseau après la décision d’Eurostat en septembre 2018, de reclasser SNCF Réseau en administration publique et d’intégrer la totalité de sa dette en dette d’État. « Elle a eu l’effet de transformer chaque euro de déficit de SNCF Réseau en déficit de l’État. Depuis, SNCF Réseau est sous la coupe du ministère du Budget, comme RFF en son temps. Cette situation paraît bien peu compatible avec les principes de gouvernance et de gestion financière d’une société anonyme établis par le code du commerce et encadrés par le code Afep-Medef », estime Thierry Marty. Selon lui, « le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire est déjà en train de décaler des programmes de travaux ».
Enfin, le syndicaliste pense que cette organisation qui devrait être opérationnelle au premier janvier 2020 ne sera pas définitive. « Il est probable qu’une branche SNCF Immobilier soit créée par la suite et que les TER et Transilien soient filialisés, au fur et à mesure de l’ouverture à la concurrence », pronostique-t-il.
(1) Ce projet d’entreprise résumé par la formule : apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement tout en préservant la planète, sera inclus dans les statuts de la future SNCF.
Un agenda social chargé
À partir du premier janvier, les embauches sous statut s’arrêtent. La SNCF cherche à moderniser le contrat de travail qu’elle signera avec les futurs salariés. Son objectif : attirer des talents et les fidéliser.
Si des suppressions d’emplois sont à craindre avec la création des sociétés anonymes et l’ouverture à la concurrence qui vont obliger la SNCF à réaliser des gains de productivité, la nature même des emplois est appelée à se transformer sous l’effet de la digitalisation de l’entreprise. Conséquence, « il va à la fois falloir réinventer un nouveau pacte social entre l’entreprise et les cheminots et adapter les profils et les compétences », explique Benjamin Raigneau. Selon le DRH de la SNCF, « il faudra attirer de nouveaux talents tout en maintenant la motivation des salariés. Nous avons besoin de fidéliser les cheminots et d’élever notre niveau de performance ». De ce fait l’agenda social est dense cette année. Passage en revue de ce qui va être modifié.
• Le futur contrat de travail
La SNCF signe déjà des contrats de droit commun avec ses salariés qui ne sont pas sous statut. Ceux-ci représentent aujourd’hui 25 % des effectifs. Avec la perspective de la fin du statut, la société nationale veut faire évoluer ce contrat de travail pour le « moderniser », selon Benjamin Raigneau. Il s’agit par exemple de revoir la question de la liberté du salaire d’embauche qui n’est pas possible aujourd’hui, et d’envisager de nouvelles clauses, comme par exemple une clause de non-concurrence (dans ce cas, il s’agira de savoir pourquoi elle s’applique et pour qui). Ou encore, puisque la SNCF dépense de fortes sommes dans la formation de ses salariés, d’inclure dans les contrats une clause de dédit de formation. La SNCF envisage enfin de remettre en cause le plafond de diplôme qui bloque les évolutions de carrière. Les discussions sont prévues au deuxième trimestre. Le futur contrat de travail devra être prêt en janvier.
• Les classifications et rémunérations
Les classifications et les rémunérations font l’objet de discussions au niveau de la branche. « Il y a des réunions quasiment toutes les semaines sur ces sujets très techniques. On est en train d’accélérer. L’entreprise devra transposer les règles dans l’entreprise », indique Benjamin Raigneau. « Pour les statutaires, ça ne changera pas mais il faudra traduire les évolutions pour les contractuels », ajoute-t-il. L’objectif est d’avoir de la visibilité fin 2019. « Il faudra prévoir un mécanisme de transition. Il va falloir ajuster les contrats de travail, des contractuels », reprend le DRH.
• Négociations sur les salaires
Les organisations syndicales devraient mettre la pression car c’est la quatrième année consécutive sans hausse générale des salaires. « Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu de hausse que les salaires n’ont pas augmenté », souligne Benjamin Raigneau. Avec le GVT (glissement vieillesse technique qui fait progresser mécaniquement les salaires en fonction de l’ancienneté), la masse salariale augmente de 2 % à effectifs constants tous les ans. Côté direction, la réflexion suivante est lancée : va-t-il y avoir une hausse générale des salaires ou plutôt des hausses catégorielles. Réponse sans doute avant la fin du printemps, les discussions devant commencer en avril.
• Prévoyance et santé
Le régime des statutaires ne changera pas. Pour les contractuels, « il y aura une convergence des droits à organiser, mais on a du temps », affirme le DRH.
Un état des lieux doit être dressé d’ici l’été pour évaluer les différences de régime entre statutaires et salariés de droit commun.
• La gouvernance
La SNCF va présenter le projet de gouvernance au Comité social et économique en juin dans le cadre d’une procédure d’information- consultation.
Y aura-t-il un plan de départs volontaires ?
« Non », répond Benjamin Raigneau. Mais il y aura des départs volontaires, comme il y en a déjà aujourd’hui, ajoute le DRH. « Le projet de budget 2019 prévoit 2 000 suppressions d’emplois, soit une cinquantaine de plus qu’en 2018 », rappelle Thierry Marty. Mais selon lui, le plan de reclassement de SNCF Mobilités prévoyant une enveloppe de 70 millions d’euros, on peut imaginer que le nombre de salariés concernés sera bien plus élevé.
Les reclassements pourront se faire en interne (avec mobilité géographique ou fonctionnelle) ou en externe. En interne, c’est un vrai défi car 4 000 personnes sont déjà prises en charge par la cellule de reclassement de la SNCF (EIM, Espace initiatives mobilité), qui met en moyenne 11 mois à leur retrouver un emploi.
« Nous avons aussi un plan d’embauche car la SNCF est très demandeuse de certains profils, comme les conducteurs, les aiguilleurs », rappelle l’entreprise qui s’apprête à recruter cette année 4 000 personnes (11 000 à l’échelle du groupe).