Il est né il y a cinquante ans, mais il n’a pas d’âge. Corto Maltese, l’aventurier le plus poète (à moins que ce soit l’inverse) de la bande dessinée a occupé ses premières cases en 1967 dans Sgt. Kirk, une revue italienne spécialisée dans la publication du 9e art. Il n’est alors qu’un personnage parmi d’autres dans La Ballade de la mer salée, publiée en épisodes.
La gare d’Austerlitz a décidé de participer aux célébrations en proposant aux voyageurs une exposition en hommage au personnage créé par l’italien Hugo Pratt. La scénographie utilisant reproduction de planches entières, d’agrandissement de cases et de textes expliquant aux passants les dessous de la légende. Logique pour une gare, tant la silhouette élancée, à la casquette blanche, la longue écharpe rouge, gonflée par le vent, comme un étendard et l’inamovible caban, symbolise celle du capitaine de marine marchande et de l’aventurier insatiable.
Décédé en 1995, Hugo Pratt laisse une oeuvre à part dans le paysage de la BD. De 1967 à 1991, il exporte les aventures de son héros Corto Maltese sur tous les continents, sur toutes les mers, dans tous les conflits (les aventures du gentilhomme de fortune comme il aime se définir) se déroulent entre 1904 et 1925, une période agitée. Chez Pratt, la fiction s’appuie souvent sur des événements réels, une fiction enrichie par une recherche historique et iconographique extensive. Ainsi, l’auteur se plongeait dans les livres pour retrouver tous les détails des uniformes, des tenus traditionnels, des styles architecturaux. Chaque bouton, chaque couleur, chaque casquette… il ne laisse rien passer. Le train est également présent dans son oeuvre, notamment dans l’excellent album Corto Maltese en Sibérie (1979) où l’or de la Sainte Russie est transporté par le train de l’amiral Koltchak, le chef des forces militaires fidèles au Tsar s’opposant à l’armée rouge dans une fratricide qui ne s’achèvera qu’en 1921, les rêves fous d’un Semenov ou d’un baron Ungern-Sternberg, les trains blindés, tout cela est bien réel. À noter qu’Hugo Pratt a « sous-traité » le dessin de ces trains, à son ami tout comme lui Vénitien, Guido Fuga, architecte et dessinateur rencontré en 1968 et qui prêtait également son trait pour les armes lourdes.
À Paris-Austerlitz, Corto n’est pas seul… Son camarade l’inquiétant Raspoutine, naturellement, mais également la belle Bouche Dorée, la résolue Shanghai Li ou l’acculée Marina Seminova, autant de personnages inoubliables de l’oeuvre d’Hugo Pratt. Avec ces albums résolument originaux et ambitieux, le dessinateur vénitien est devenu l’un des pères du roman graphique et a touché des générations de rêveurs. Corto Maltese est peut-être le premier « citoyen du monde » et c’est probablement pour cela qu’il reste toujours aussi populaire. Antihéros ouvert sur l’altérité, optimiste cynique, poète bagarreur, être moral qui ne juge personne, ce fils d’un membre de la Royal Navy et d’une gitane de Gibraltar est un homme entier, ainsi dans Corto Maltese en Sibérie, il prévient son ami Steiner « Écoute, mon vieux, il y a longtemps que je fais face à mes problèmes tout seul et je t’assure que je n’ai aucune envie de changer, tout simplement parce que le premier venu me conseille de le faire… Je t’ai pris avec moi parce que tu es sympathique… mais si tu veux faire de la censure, tu dois changer d’adresse… Tu vois, Steiner, je ne suis pas assez sérieux pour donner des conseils et je le suis trop pour en recevoir. » Imparable.
Corto Maltese, 50 ans d’aventure Gare de Paris-Austerlitz jusqu’au 31 octobre 2017
