« Le point de départ, c’est que, si vous serrez la main d’un fou furieux, vous vendez peut-être votre âme au diable… » C’est en ces termes qu’Alfred Hitchcock présentait son film L’Inconnu du Nord-express. Deux inconnus se rencontrent à bord d’un train. Guy Haines (Farley Granger) est un joueur de tennis connu. Bruno Anthony (Robert Walker) se présente comme un fan et s’impose à la table du sportif. Alors qu’ils prennent un verre dans la voiture-restaurant, la discussion glisse sur un sujet douteux : le meurtre. Bruno affirme connaître la recette du crime parfait : « Chacun tue un parfait inconnu. Vous commettez mon crime, je commets le vôtre. » Deux personnes sans aucun lien. Ainsi les inspecteurs de police seront bien incapables de déterminer le mobile des homicides. Bien informé sur la situation affective du champion, Bruno sait que Guy doit divorcer pour pouvoir officialiser sa relation avec Anne Morton (Ruth Roman), la fille du sénateur Morton (Leo G. Carroll). Et Bruno lui confie toute la haine qu’il éprouve pour son propre père, qu’il accuse de le détester.
Guy Haines ne prend pas la proposition au sérieux… et descend à Metcalf, sa ville natale, où il compte divorcer de sa femme Miriam (Laura Elliott). Mais celle-ci lui annonce qu’elle ne compte plus divorcer et qu’elle souhaite le suivre à Washington. Il la quitte particulièrement fâché.
De son côté, l’inquiétant Bruno Anthony entreprend de supprimer l’épouse de son ancien compagnon de voyage dans une fête foraine. Pendant ce temps, Guy lit tranquillement le journal dans la voiture-salon du train entre New York et Washington, s’offrant ainsi sans le savoir l’alibi idéal alors que l’irréparable se commet. Lorsque le joueur de tennis apprend le meurtre de sa femme, il doit se rendre à l’évidence : Bruno pensait tout ce qu’il a dit. Et maintenant, ce dangereux personnage lui met la pression : il doit respecter sa part du marché. Piégé, Guy voit toujours apparaître au pire des moments Bruno, de plus en plus instable. La pression devient insoutenable…
Sorti dans les salles en 1951, L’Inconnu du Nord-express (Strangers on a Train) est une adaptation très libre du premier roman de Patricia Highsmith. Avec le personnage de Bruno, Hitchcock offre au cinéma un des méchants les plus réussis de sa carrière, double antinomique du champion de tennis, il se permet ce que Haines se refuse. L’acteur Robert Walker excelle dans le rôle de Bruno, parvenant à être tour à tour charmeur, inquiétant, ironique, pathétique, dément, calculateur. L’acteur est mort à 32 ans d’une surdose de médicaments, deux mois seulement après la sortie du film.
Quintessence du film hitchcockien, L’inconnu du Nord-Express reprend les grandes obsessions du maître : le crime parfait, l’homme accusé à tort qui ne peut pas se tourner vers les autorités, la mère dysfonctionnelle ou encore l’homosexualité refoulée… Il existe d’ailleurs quelques différences entre la version américaine (originale) et la version britannique de L’Inconnu du Nord-Express découverte par hasard dans les années 1990, la seconde étant plus longue de quelques minutes. Dans la version américaine, plusieurs plans dans le train ont disparu pour ne pas trop appuyer sur l’ambiguïté de la relation entre les deux personnages et l’homosexualité latente qui la caractérise. Le réalisateur fait également preuve d’une inventivité constante. A l’instar de la scène du meurtre de Miriam, filmée dans le reflet des lunettes de la victime.
A noter la présence au début du film du réalisateur britannique à l’occasion d’un caméo – un passage fugace d’une vedette ou d’un membre de l’équipe de tournage dans un film, une habitude chez Hitchcock (il est apparu plus de 40 fois dans ses films). Alors que Haines descend du train en gare de Metcalf, le cinéaste monte à bord avec, pour seul bagage une imposante contrebasse.
Lundi 11 septembre à 13 h 35 sur Arte. L’inconnu du Nord-Express d’Alfred Hitchcock. Warner Bros. États-Unis. (1951)
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