Une réussite. C’est le jugement d’Euro Cargo Rail sur la réalisation du contrat remporté auprès de Gefco à la fin de l’année dernière. L’opérateur de fret ferroviaire, filiale de DB Schenker, a attendu d’être sûr du succès de l’opération avant d’inaugurer, le 26 avril, son nouveau centre de triage à Gevrey (Côte-d’Or), point névralgique de son activité pour Gefco.
« On nous prédisait l’échec », raconte Yves Fargues, PDG de Gefco, qui estime lui aussi que le défi a été relevé et maîtrisé. Il rappelle que jusqu’à la fin de l’année dernière c’est Fret SNCF qui assurait une double prestation pour Gefco : d’une part la programmation des acheminements de voitures de PSA, d’autre part la traction des trains. Mais la filiale logistique du groupe PSA n’était pas satisfaite de la prestation. « La fiabilité n’était pas à la hauteur de nos attentes », explique Yves Fargues, qui a souhaité remettre en question le contrat. Finalement, Gefco a décidé d’organiser lui-même le plan de transport et de sous-traiter la traction ferroviaire à trois entreprises ferroviaires privées, ECR (pour les deux tiers), Europorte et Colas Rail se partageant à égalité le tiers restant (le premier gérant les dessertes de Miramas, Toulouse et Bordeaux, le second le hub d’Achères et les dessertes d’Ile-de-France, de Rennes et du Havre).
Le projet a nécessité deux ans d’études avant d’être lancé. Le nombre de dessertes a été revu à la baisse (- 15 % environ par rapport au périmètre précédemment assuré par Fret SNCF). « Nous avons fait du sur-mesure pour Gefco », souligne Emmanuel Delachambre, le directeur général d’ECR. « Nous travaillons différemment, avec une meilleure productivité. Nous avons diminué les points de desserte, en supprimant les plus compliqués comme par exemple le Massif central, et nous avons mutualisé les locomotives. » Conséquence, les coûts d’acheminements ont diminué d’une vingtaine de pourcents. « Nous nous sommes autorisés à redessiner le plan de transport, y compris la manière dont on prend les marchandises chez les clients. A Sochaux par exemple, nous opérons un train le jour et un train la nuit, ce qui oblige l’usine à fonctionner 24 heures sur 24 », poursuit Emmanuel Delachambre. « Auparavant, la SNCF assurait deux liaisons par jour, ce qui l’obligeait à avoir 2 locomotives et donc un système plus coûteux. Nous poussons la productivité jusqu’au bout. Une loco doit tourner 20 heures, sinon elle n’est pas rentable. »
Depuis décembre, 12 000 wagons ont ainsi été traités à Gevrey, où travaillent une trentaine de salariés d’ECR. Au total, 50 trains par semaine sont traités pour Gefco, soit 550ââ000 voitures neuves transportées annuellement « Le système est basé sur la fluidité », explique Emeric Fournier, le responsable de l’agence d’ECR de Gevrey. Les voitures viennent de cinq usines de PSA en France et de deux autres en République tchèque et en Slovaquie. Les trains sont triés et renvoyés sur 15 plateformes de distribution en France et d’autres pays européens. L’accélération des temps de rotations des locomotives permet d’ores et déjà d’envisager de nouveaux clients qui pourraient à leur tour entrer dans ce dispositif. D’où une demande formulée auprès de RFF par ECR, visant à obtenir davantage de voies à Gevrey. Pour l’heure, l’opérateur occupe la moitié du site environ.
« Ce que nous avons fait ici est un peu une grande répétition de ce que nous voulons réaliser sur le marché des wagons isolés en France. Nous souhaitons développer une nouvelle solution de wagons isolés qui soit performante pour le marché et pour nous », affirme Emmanuel Delachambre, qui souhaite lancer un autre hub en France, « un Gevrey 2 », dans les deux ou trois ans à venir. « Car les triages à moitié vides ou vides, il n’en manque pas en France, y compris dans les zones les plus dynamiques, Nord-Est, région lyonnaise, Paca », ajoute-t-il. « Mais il faut qu’on fédère les trafics des clients pour avoir la taille de Gefco. »
Même son de cloche chez Gefco qui souhaite tirer parti de cette expérience positive. « Gefco est engagé dans le transport ferroviaire depuis le début de son existence, c’est-à-dire 62 ans. Nous avons toujours été organisateurs de transport ferroviaire », explique Yves Fargues. « Mais cette fois-ci, c’était un véritable défi car nous avons dû apprendre un métier complètement nouveau. » Il estime que le regroupement de trois opérateurs ferroviaires privés est une première qui devrait faire réfléchir la profession. « Ce contrat va donner des idées. Nous-mêmes voulons nous développer dans ce nouveau métier et trouver de nouveaux clients pour les hubs de Gevrey et d’Achères. Dans un premier temps avec le secteur automobile, mais aussi avec d’autres industriels. Les trafics nord – sud pourraient passer par ce système. »
Selon lui, de grands industriels, qui n’apprécient pas le dispositif multilots multiclients mis en place par Fret SNCF, pourraient être tentés. Une nouvelle menace en perspective pour l’opérateur historique ?
Marie-Hélène POINGT
Une nouvelle vie pour la plateforme de Gevrey
Euro Cargo Rail a retenu Gevrey, près de Dijon, comme plateforme centrale de ses transports pour Gefco. Longue d’environ 3 500 m, cette gare de triage est l’une des plus grandes de France, mais son activité était jusqu’à présent en déclin. ECR a organisé ses flux autour de ce hub, dont il loue 37 voies à Réseau ferré de France. Les trains arrivent par le faisceau de réception, sont séparés en wagons individuels ou en groupes de wagons, puis réassemblés selon leur destination. L’opérateur assure qu’il « ne faut pas plus de deux heures et demie pour trier les trains de voitures, “colorés” en fonction de leur destination, et pour les préparer à leur voyage en France ou à travers l’Europe ».
« ECR doit gérer des volumes fluctuants – propres à la production automobile – et les intégrer dans un plan de production flexible », poursuit l’opérateur privé. Quant à Gefco, son objectif est « de réduire significativement les délais de transport ».
Gefco possède la flotte de wagons qui servent à acheminer les voitures neuves Peugeot et Citroën. ECR fournit les locomotives de transport et de manœuvre. ECR utilise aussi le réseau de DB Schenker Rail pour le transport international au-delà des frontières françaises. La filiale des chemins de fer allemands travaille également en coopération avec les compagnies privées Europorte et Colas Rail, chacune se chargeant d’une partie du transport. Ensemble, elles opèrent près de 50 trains chaque jour pour Gefco, la plupart via Gevrey. Ce contrat se chiffre « par dizaines de millions d’euros », selon ECR.
« Nous ne sommes plus une entreprise allemande » Alexander Hedderich, président de DB Schenker
Ville, Rail & Transports : Quels sont les résultats de DB Schenker en Allemagne en 2011 ?
Alexander Hedderich : L’année dernière, nous avons enregistré un résultat positif de 32 millions d’euros. Les meilleures performances ont été réalisées au Royaume-Uni, en France et en Pologne. En Allemagne, nous avons perdu de l’argent mais nous ne pouvons pas donner les résultats par pays. Nous sommes présents dans 15 pays européens, où nous opérons chaque jour 5 300 trains avec 3 600 locomotives et 110 000 wagons. Avec nos 33 000 collaborateurs, nous ne sommes plus une entreprise allemande mais une vraie entreprise européenne. Notre objectif est de proposer des solutions européennes.
VR&T : Quelle est votre stratégie en matière de wagons isolés ?
A. H. : Nous croyons à une forte hausse de cette activité en Europe grâce à des investissements et au travers de partenariats. C’est pourquoi nous sommes présents au sein de X-Rail, qui comprend au total sept compagnies ferroviaires européennes. Cette alliance est particulièrement importante à nos yeux, même si la part du wagon isolé au sein de notre activité (elle représente le tiers de notre chiffre d’affaires) a légèrement reculé l’an dernier au profit du transport combiné.
VR&T : Votre politique de développement passe-t-elle par de nouvelles acquisitions ?
A. H. : Aujourd’hui, nous ne souhaitons pas acquérir de nouvelles sociétés, mais consolider les entreprises qui font partie de notre groupe. Notre valeur ajoutée, c’est de construire un véritable réseau européen. Ce n’est pas un exercice simple. Il ne faut pas sous-estimer la dimension culturelle très forte au sein des entreprises de chemin de fer.
VR&T : Quelles sont, selon vous, les principales questions à résoudre au niveau européen pour rendre le rail plus performant ?
A. H. : Même si les thèmes liés aux infrastructures sont importants, une autre question me semble fondamentale : comment réduire les coûts de fonctionnement des réseaux ferroviaires européens ? Les marges du secteur sont réduites. Il faut donc s’attaquer à tout ce qui pénalise le rail, comme les taxes sur l’énergie (l’aérien échappe à la taxe sur le kérosène par exemple) et comme les réglementations. En Italie, la réglementation impose deux conducteurs à bord d’un train au lieu d’un seul. La Commission européenne devrait autant s’intéresser aux coûts qui pèsent sur notre métier qu’aux infrastructures.
Propos recueillis par Marie-Hélène POINGT