La restauration à bord des trains est devenue un mythe, elle flotte dans la mémoire des voyageurs qui avalent aujourd’hui leur sandwich TGV accoudés à la tablette de la voiture-bar, se contorsionnant pour voir défiler un bandeau de paysage à travers le mince hublot rectangulaire. La voiture-restaurant était pourtant une réalité. Pendant plus d’un siècle, elle a fait les joies des passagers ; des plus fortunés – les premiers servis – aux plus modestes avec la formidable démocratisation du voyage en train qui s’affirme au tournant des années 50. L’excellence de son service et l’opulence de la chère ont nourri la légende. La littérature et le cinéma ont contribué à installer dans les esprits cette image de festin sublime, à déguster dans un décor précieux de marqueterie fine, tandis que les paysages de la steppe glacée glissent derrière la fenêtre…
Istanbul, 1930, départ de l’Orient-Express… Nous sommes dans le roman d’Agatha Christie, Le Crime de l’Orient-Express, merveilleusement porté à l’écran par Sydney Lumet. Tandis que les onze passagers de la voiture Calais se présentent un à un auprès du chef de train, étrangement appelé « conducteur », les paniers d’osier et les cageots pleins à craquer s’entassent sur le quai. Dans la précipitation du départ, des porteurs renversent une brouette et les oranges fraîches roulent sous les pas de Jacqueline Bisset en divine comtesse Andrenyi.
Le cuisinier coiffé de sa calotte réglementaire et le contrôleur principal en costume bleu marine vérifient la fraîcheur des denrées prêtes à embarquer. Derrière les montagnes de choux verts et de choux-fleurs, le chef hume les carottes. Une bourriche d’huîtres en provenance d’on ne sait où « passe à la question ». L’une d’elles est même ouverte par le contrôleur qui en vérifie la fraîcheur, puis acquiesce d’un signe de tête.
A bord, l’antique princesse Dragomiroff commande un menu sur-mesure, les carafes et les verres en cristal scintillent sur les tables nappées d’un blanc immaculé. Les panneaux en acajou de la voiture Pullman plantent le décor…