Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a récemment abordé les défis actuels de l’entreprise dans une interview exclusive. Des tensions sociales aux préparatifs des Jeux Olympiques, en passant par les controverses autour de Ouigo en Espagne et les prix des billets, cette interview offre un bilan complet et des perspectives d’avenir.
Ville, Rail & Transports. L’amélioration du dialogue social au sein de la SNCF était l’une de vos priorités lorsque vous avez été nommé PDG en novembre 2019. Cependant, il y a eu des grèves ou des menaces de grève des contrôleurs, ainsi que des alertes pour les JO. Pouvez-vous dire que vous avez réussi ?
Jean-Pierre Farandou. Il est crucial de comprendre le contexte exceptionnel et les enjeux actuels. En quatre ans, nous avons traversé une série de crises sans précédent : la Covid-19, la guerre en Ukraine, deux réformes des retraites, et une transformation majeure de l’entreprise en raison de la concurrence européenne. Les JO de cet été ajoutent une pression supplémentaire. J’ai abordé ces défis par un dialogue social riche et constant, avec près de 70 rencontres avec les représentants syndicaux l’année dernière.
VRT. Comment se déroule le dialogue social ?
J-P.F. Nous combinons trois principes : équilibre entre l’économique et le social, protection et développement des salariés, et cohésion sociale. Nous avons augmenté les rémunérations de 17 % en moyenne sur trois ans, avec des hausses allant jusqu’à 21 % pour les salaires les plus bas, dépassant l’inflation de 13 %. La masse salariale de la SNCF a augmenté de 1,5 milliard d’euros. Nous avons également versé 400 euros de gratification exceptionnelle à tous les cheminots en plus d’une prime de 400 euros fin 2023.
VRT. Vous venez de lancer une « plateforme de progrès social ». Qu’est-ce que cela va vraiment changer ?
J-P.F. Cette plateforme est un espace où des thématiques de progrès social seront discutées avec les syndicats. Nous nous engageons à améliorer la situation existante, en favorisant une culture du compromis et du mouvement. Un climat social apaisé et constructif permettra d’éviter les mouvements sociaux.
VRT. Faut-il craindre une grève en mai ? Sud Rail a déposé un préavis pour les chefs de bord…
J-P.F. La grève n’est pas la solution. Elle pénalise les cheminots, l’entreprise et surtout nos clients. Nous devons éviter de galvauder la grève et privilégier le dialogue social.
« La productivité n’est pas un mot tabou »
« La productivité n’est pas un mot tabou à la SNCF. Nous devons produire moins cher pour nos clients et maîtriser nos coûts face à la concurrence. Tous les bénéfices sont réinvestis dans l’infrastructure et le matériel roulant. Nous voulons des effectifs adaptés à la charge de travail de chaque établissement, sans tricher avec l’emploi. Les efforts de productivité sur les fonctions support nous permettent d’atteindre nos objectifs financiers.
VRT. Le Sénat vient d’approuver en commission une proposition de loi visant à interdire la grève certains jours. Qu’en pensez-vous ?
J-P.F. Le travail législatif n’est pas de mon ressort. Mon rôle est de promouvoir le dialogue social au sein de l’entreprise. Nous avons récemment conclu plusieurs accords, comme celui sur la mixité, signé par les quatre organisations syndicales, et d’autres sur les classifications et les revalorisations annuelles.
VRT. Mais la SNCF fait partie de l’Union des Transports Publics qui réclame une évolution législative pour mieux encadrer les préavis de grève illimités ou les grèves de 59 minutes…
J-P.F. Ces sujets concernent le secteur, pas la SNCF. Les préavis de grève, même légaux, doivent être en accord avec l’esprit du droit de grève. Le gouvernement et le Parlement doivent décider de leur légitimité.
VRT. Vous êtes en train de discuter des primes qui seront versées aux agents les plus concernés par les JO. Pourquoi ne sont-elles pas encore décidées ?
J-P.F. Un groupe de travail se réunit tous les mois avec les syndicats depuis novembre. Nous avons fait des propositions en janvier et continuerons à discuter pour finaliser ces primes d’ici mai ou juin.
L’avenir en suspens de Jean-Pierre Farandou
Le mandat de Jean-Pierre Farandou s’est en théorie terminé en décembre 2023. Cependant, il restera à son poste jusqu’à la prochaine assemblée générale. Plusieurs hypothèses sont envisagées pour son avenir, notamment une prolongation jusqu’aux JO ou jusqu’à ses 68 ans en juillet 2025.
VRT. Les syndicats disent que la disparition des CSE a éloigné la direction des cheminots sur le terrain. Qu’en pensez-vous ?
J-P.F. L’écoute sociale n’est pas réservée aux syndicats. Les managers et dirigeants de proximité doivent aussi dialoguer avec les agents. Nous travaillons avec les syndicats pour renforcer le dialogue social de proximité.
VRT. Le ministre espagnol des Transports accuse Ouigo Espagne de faire du dumping sur les prix. Que répondez-vous ?
J-P.F. Je n’ai pas de commentaire à faire sur ce que dit le ministre espagnol.
VRT. Mais on constate que Ouigo Espagne et Iryo ont déjà pris plus de 40 % du marché en Espagne. Un tel scénario est-il envisageable en France ?
J-P.F. Je ne connais pas les stratégies commerciales de nos concurrents, mais je vois les faits. Les Italiens et les Espagnols n’ont pas affecté la fréquentation de nos trains. La SNCF continue de se développer.
VRT. En voyant les prix très bas pratiqués par la SNCF en Espagne, les Français ne vont-ils pas réclamer la même chose chez nous ?
J-P.F. Le montant des péages en France est parmi les plus élevés d’Europe, ce qui explique l’écart de prix.
VRT. N’y a-t-il pas aussi un modèle d’exploitation différent ?
J-P.F. SNCF Voyageurs et Ouigo sont sur leur feuille de route, et les résultats sont en ligne avec le plan d’affaires.
VRT. Suite notamment à votre lobbying, le gouvernement a promis 100 milliards pour le ferroviaire. On n’y est toujours pas. Et aujourd’hui, le gouvernement cherche plutôt des économies partout. Vous êtes déçu ?
J-P.F. La volonté politique pour le ferroviaire est toujours là. Nous verrons des investissements massifs dans le réseau avec 2,3 milliards d’euros supplémentaires entre 2024 et 2027.
VRT. En devenant PDG, vous aviez également affirmé que vous ne vouliez plus d’attente aux guichets. Ce sera le cas cet été ?
J-P.F. Oui, nous avons réussi à réduire les attentes pour qu’elles ne dépassent pas la demi-heure en mettant en place des appareils qui acceptent la monnaie et des agents pour aider les clients.
Le climat social s’éclaircit à la SNCF
La direction de la SNCF respire. Alors que des préavis de grève menaçaient le mois de mai, l’accord sur la CPA devrait être signé avant le 22 avril par les syndicats. La CGT, la CFDT-Cheminots et l’Unsa Ferroviaire se sont prononcés favorablement. Pour Jean-Pierre Farandou, c’est une petite victoire après son implication dans le dialogue social depuis la grève des contrôleurs en février.
VRT. La SNCF n’a-t-elle pas été trop loin dans la suppression des agents et des vendeurs en gare ?
J-P.F. C’est une question pour les autorités organisatrices. Quel niveau de service souhaitent-elles ? Avec quelle présence humaine ? Pour quel coût ? Tout cela est précisé dans les contrats de délégation.
VRT. Alstom multiplie les retards de livraison de matériels roulants. Vous êtes fâché ? Il y aura des pénalités ?
J-P.F. Les retards sont pénalisants pour nos clients. Si nous avions plus de trains, nous les remplirions sur de nombreuses destinations. La livraison des TGV M aurait dû commencer à la fin de l’année dernière, mais elle est retardée à mi-2025. Les pénalités prévues par les contrats en cas de retard s’appliquent.
VRT. Finalement il y aura un Pass rail pour les jeunes cet été. Qu’en pensez-vous ?
J-P.F. Tout ce qui peut amener des voyageurs dans les trains est une bonne idée, mais le montage de ce produit tarifaire entre l’Etat et les régions ne nous regarde pas. Nous nous organiserons pour offrir le tarif décidé.
VRT. Les projets de commande centralisée du réseau peuvent-ils être un facteur de fragilité, notamment en cas de grève ou de cyber-attaque ?
J-P.F. La SNCF est une entreprise d’innovation. Les CCR visent à réduire les pannes d’aiguillage grâce aux données recueillies et à l’intelligence artificielle, améliorant ainsi la fiabilité et l’attractivité du ferroviaire.
VRT. Clément Beaune était un ministre des Transports très interventionniste. Son successeur arrive avec un nouveau style. Qu’est-ce que cela peut changer pour la SNCF ?
J-P.F. Le nouveau ministre est en train de construire son analyse. Il semble intéressé par l’impact de la mobilité sur l’aménagement et le développement des territoires. Le ferroviaire aura toute sa place.

VRT. Et vous dans tout cela, comment voyez-vous la suite ? Vous n’avez jamais caché votre envie de continuer.
J-P.F. La décision ne m’appartient pas, je travaille, et les sujets sont nombreux. J’accepterai la décision du gouvernement, quelle qu’elle soit.
VRT. Qu’est-ce que vous aimeriez plus particulièrement avoir réussi lorsque vous ferez le bilan ?
J-P.F. Je n’en suis pas là. Mon état d’esprit, c’est de faire avancer cette entreprise. En quatre ans, on a fait bouger les lignes, le cap est donné. Le cap, c’est celui du développement qui passe par le développement du réseau. Nous nous battons aussi sur le dossier fret. Je me bats pour le développement du ferroviaire et je n’oublie jamais le social. Je suis un infatigable du dialogue social, en associant les cheminots aux progrès de l’entreprise à travers leurs syndicats.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt