C’était comme une évidence. Plus on est relié, mieux c’est, et plus on va vite, plus l’avantage est grand. Cette évidence a nourri le schéma directeur des relations à grande vitesse de 1991 et, vingt ans plus tard, le projet de schéma national des infrastructures de transport (Snit). Elle se dissipe aujourd’hui. Les économistes des transports, comme Yves Crozet, directeur du Laboratoire d’économie des transports (LET), qui font entendre une autre musique, sont entendus. Les trente ans du TGV sont l’occasion de dresser le bilan. Surtout, la crise financière conduit à faire un tri sévère dans les projets. Les lignes rentables ont pour l’essentiel été construites. Seule une forte rentabilité socio-économique peut justifier la poursuite d’un grand programme. C’est pourquoi la question des effets économiques de la grande vitesse devient cruciale. De leur côté, sur la lancée des années précédentes, la plupart des élus qui n’ont pas eu le TGV le réclament toujours. C’est d’autant plus méritoire ou surprenant qu’ils sont désormais tenus de mettre la main à la poche pour acquitter en grande partie le coût de l’infrastructure. Pourquoi persistent-ils ? Pour attacher leur nom à une réalisation visible et prestigieuse, et parce qu’ils pensent ainsi à l’intérêt des territoires qui les ont élus. Mais, comme l’a dit Nathalie Kosciusko-Morizet en conclusion des Assises du ferroviaire, témoignant du nouveau doute qui a saisi les pouvoirs publics : « Le désir de LGV peut être celui des élus plus que celui de nos concitoyens. » Marie Delaplace, économiste, professeur à l’université de Marne-la-Vallée et à l’Institut français d’urbanisme, est une spécialiste de l’effet TGV. Sylvie Bazin, Christophe Beckerich et elle ont réalisé de nombreuses études sur le sujet, dont une, prospective, sur les impacts de la LGV Est-européenne sur Reims et la région Champagne-Ardenne… Travail dont les conclusions ne rencontraient pas les attentes des élus. Pour Marie Delaplace, il n’y a guère de doute : « Les effets sont loin d’être systématiques. Il n’y a pas d’effet TGV en soi. Il n’y a pas de problème systématique non plus si on n’est pas desservi. On observe donc des attentes importantes au niveau local qui ne sont pas fondées. » Pourquoi cette non-systématicité ? « Parce que les territoires sont différents, les réseaux sont différents, les ménages et leurs niveaux de vie sont différents, que les lignes ferroviaires, en termes de services fournis, sont différentes. » Et, ajoute-t-elle, « l’hétérogénéité liée à la desserte est aussi due au prestataire qui oriente les usages en fonction de ce qui lui semble le plus pertinent. » Le fait qu’il n’y ait pas de loi économique est un discours que les élus entendent très mal. Et là où ça passe plus mal encore, « c’est quand on dit que même avec une politique d’accompagnement, il n’y a pas d’effet systématique ».
On imagine le désappointement des commanditaires de la région Champagne-Ardenne en apprenant que l’infrastructure à laquelle ils concouraient n’entraînerait pas les retombées escomptées. Même déception en Auvergne quand Nicolas Bouzou, directeur du cabinet Asterès, a présenté une même conclusion, alors que la région réclame à cor et à cri son TGV… Le constat que fait aujourd’hui la SNCF recoupe quasiment celui de la plupart des économistes. Pierre Messulam, directeur de la Stratégie et de la Régulation ferroviaire, et ancien directeur du projet TGV Rhin-Rhône, explique : « Avoir le TGV, c’est être dans la modernité. Pour la SNCF, cette attente des élus est importante, d’autant que la SNCF participe à un modèle d’égalité territoriale. » Economiquement, la question se pose différemment. Le TGV a « un effet catalyseur ou révélateur. Là où le territoire est dynamique, il accentue la croissance, là où la situation est difficile, cela risque d’accélérer les difficultés ». Dit d’une autre façon, « les trains vont dans les deux sens » : ils peuvent apporter du monde dans les lieux nouvellement desservis… ou vider les villes moyennes au profit des métropoles. Plutôt que de s’en tenir à un discours macroéconomique, Pierre Messulam invite à des approches fines. Rappelant, par exemple, qu’un chef d’entreprise va sans doute apprécier la grande vitesse, mais avant de s’implanter dans une « ville TGV », regarder quelles sont les fréquences, s’il y a du foncier disponible, si ce qu’il produit peut être transporté, s’il va trouver les compétences qu’il cherche, etc. Si, comme le pense Pierre Messulam, « le développement, c’est une question de géographie et de démographie », alors, il faut s’appuyer sur une connaissance précise des territoires pour voir ce que la grande vitesse peut apporter et de quelle façon elle peut le faire. C’est dans cet esprit que la SNCF a créé des clubs TGV. Cela a commencé avec la LGV Est, s’est poursuivi avec la LGV Rhin – Rhône, et l’expérience va se poursuivre avec la création de cinq clubs en Bretagne. Des clubs créés à l’instigation d’une SNCF exerçant sa « curiosité bienveillante à l’égard des territoires », et n’oubliant pas, comme dit Pierre Messulam, « que leur prospérité est garante de la nôtre ».
« Avec les clubs, on a cherché à nouer des relations avec les élus consulaires, les chefs d’entreprise, les associations ou le monde culturel, dans l’idée de construire une offre pertinente pour eux comme pour nous. A chaque fois, un chef d’entreprise ou un élu consulaire a été nommé président du club. Sans ignorer les interlocuteurs institutionnels – les clubs étant d’ailleurs ouvert à tous et aux élus –, on sortait des enjeux habituels de la gouvernance des territoires. » Une attitude qui va dans le sens des observations de Marie Delaplace. Pour elle, le succès éventuel d’une desserte TGV tient à l’appropriation de la grande vitesse par les habitants, individuellement, dans la modification des comportements, et collectivement, dans l’élaboration de projets appropriés. Et, ajoute Pierre Messulam, « le simple fait que nous, transporteurs, venions avec un questionnement plus que des certitudes, avec des questions posées par quelqu’un d’autre que les acteurs régionaux, était un déclencheur. A Dijon, Besançon, Belfort-Montbéliard, Mulhouse, le TGV donnait des raisons de se parler et de construire un projet. Besançon, par exemple, a beaucoup travaillé sur le fonctionnement métropolitain. Vesoul et Besançon ont été amenées à penser autrement l’espace métropolitain ». La SNCF, qui revendique « une profondeur de champ », veut tirer les leçons des nombreux exemples qu’elle connaît. Riche expérience. On voit d’ailleurs dans les quelques villes que nous avons revisitées dans ce dossier la diversité des effets : la grande vitesse a dopé l’urbanisme de Nancy mais pas son économie, elle a fait de La Rochelle une ville de congrès, elle a renforcé le poids du tertiaire au Mans. A l’inverse, son absence n’a pas signé le déclin d’Epernay, mais a fait de Blois une ville un peu délaissée… Par quel sortilège Mâcon-TGV, proche du site de Solutré, de l’abbaye de Cluny, riche en vignobles, bien desservis par l’autoroute, ne décolle-t-elle pas ? A l’inverse, Valence-TGV, gare nouvelle qui n’avait pas partie gagnée, est devenue un site impressionnant, que les clubs TGV du Rhin-Rhône sont allé visiter. Dans l’espoir, même si rien n’est joué avec l’arrivée de la grande vitesse, de mettre toutes les chances de son côté.
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Territoires, le TGV accélère-t-i le développement ?
Par : François Dumont
François Dumont