Il n’est ni produit en France, ni destiné à la France, mais c’est près de Valenciennes, au Centre d’essais ferroviaire (CEF), que ce tramway en livrée bleue fait actuellement l’objet d’un maximum de tests. Désigné comme A35 par SL, les transports publics du Grand Stockholm, ce matériel produit par CAF à Saragosse sous la dénomination Urbos AXL est destiné à la desserte de la ligne de rocade « transversale » faisant le tour de la proche banlieue de la capitale suédoise, en commençant par son prolongement nord, qui doit ouvrir cet automne. Sur cette rocade, les 15 premiers A35 (sur un maximum de 121 selon le contrat-cadre signé en novembre 2010) côtoieront une partie du parc de 37 trams A32 de Bombardier mis en service par SL entre 1999 et 2009.
Par la suite, une version rallongée (quatre modules pour 40 m, au lieu de trois modules pour 30 m) et désigné A36 du tram « format XL » de CAF devrait circuler en 2015 sur la ligne de Lidingö (Lidingöbanan), ancienne voie ferrée industrielle sur une île de banlieue résidentielle, dont les services voyageurs sont assurés depuis toujours par trams : un « vrai-faux tram-train », en quelque sorte ! D’ailleurs, c’est par cette expression que Francis Nakache, directeur général de CAF France, présente l’A35, véhicule plus lourd et plus rapide qu’un tram « standard ».
Le voici donc, ce « vrai-faux tram-train », dans sa version A35 à trois modules sur quatre bogies, garé tout au bout de la voie d’essais de performance du CEF, en abrégé VEV – le deuxième V de VEV signifie vitesse. Un maximum de 120 km/h peut y être atteint, mais pas trop longtemps : la voie se termine au bout de 2 750 m ! Cette voie présente des caractéristiques plus proches du ferroviaire « lourd » que du tram : gabarit UIC, rails de 50 kg/m posés au 1/20, charge de 22,5 t à l’essieu, courbe de 325 m de rayon… Sur la partie rectiligne de la VEV sont mesurées les performances des équipements de traction et de freinage, mais aussi le niveau de bruit, la compatibilité électromagnétique ou le confort vibratoire de ce matériel roulant – en l’occurrence, le futur tram 451 du parc SL, premier A35 de la série, qui est au CEF depuis novembre 2012 pour des essais planifiés jusqu’à la fin 2013. Partis en camion de Saragosse, puis en bateau d’Espagne à Zeebrugge, jusqu’à cinq A35 devraient faire un séjour dans le Valenciennois, alors que, parallèlement, le tram 454 est arrivé en bateau à Göteborg (Suède) avant d’être présenté dans la banlieue de Stockholm en mai 2013 sur le prolongement nord de la « transversale », où il devait contractuellement être livré avant la fête nationale du 6 juin.
Le CEF ne pouvant pas reproduire intégralement l’environnement dans lequel le tram sera appelé à circuler, où alternent les sections en site propre ou sur voirie, certains essais ne pourront être effectués qu’in situ. Ne serait-ce qu’en ce qui concerne les rampes, les voies du CEF n’en présentant guère (en revanche, le dévers dans la courbe de la VEV est plus prononcé que sur une ligne de tram !).
Alors que deux salariés de CAF escamotent l’attelage, permettant une circulation en unités multiples ou la remorque du tram, puis replacent le capot protégeant cet attelage, découvrons ce véhicule à accès surbaissé (425 mm, soit la hauteur des quais à desservir), dont le plancher ondule légèrement au passage des deux bogies intermédiaires, alors que deux marches permettent de gagner les deux espaces à plancher haut au-dessus des bogies d’extrémité. L’aménagement intérieur, diversifié, ne dépaysera pas les habitués des transports publics de Stockholm : sièges en 2+2 de front au-dessus des bogies, alternance ailleurs de sièges en disposition longitudinale et d’espaces poussettes / PMR, avec sièges isolés pour personnes âgées. Les organes de préhension sont nombreux et bien visibles (couleur jaune), alors que les sièges sont recouverts de tissus reprenant le plan des lignes SL. Simplicité, efficacité et bon goût, avec une petite touche personnelle : cette rame espagnole a décidément un design très « nordique » !
Ces qualités se retrouvent dans les cabines, très ergonomiques avec leur manipulateur à accoudoir et leur pupitre surélevé, encadré par deux écrans de rétrovision. L’implantation de ce pupitre ne pose visiblement plus le problème d’angle mort vers le bas constaté sur la maquette échelle 1 présentée à Stockholm il y a un an.
Le conducteur du CEF a pris sa place derrière le pupitre : le moment est venu de demander au PCC d’alimenter la caténaire de la VEV sous 750 V, une des trois tensions fournies ici en courant continu. Le tram est rapidement en ordre de marche : les rampes de LED fournissent un éclairage suffisamment intense à l’intérieur pour atténuer les écarts de luminosité entre soleil et ombre, alors qu’en se mettant debout sur le plancher haut aux deux extrémités, on commence à ressentir l’air frais de la climatisation. Installé séparément en cabine et en salle, cet élément de confort est aussi bienvenu sous le soleil d’été dans le nord de la France qu’il le sera dans la banlieue à Stockholm ! Inversement, la question du chauffage et de l’isolation thermique en hiver a fait l’objet de soins particuliers.
Les cales sont enlevées. Après les essais de freins – de service et d’urgence – le tram bleu se lance sur la VEV. Comme 100 % de ses essieux sont motorisés, son accélération est non seulement impressionnante (une vingtaine de secondes suffit pour aborder la courbe à vitesse élevée), mais aussi très régulière (en dépit de cette performance, aucun jerk n’est ressenti) : pas de quoi tomber par terre… au sens propre ! Plus généralement, le roulement est excellent : sauf lorsque nous franchissons des appareils de voie, ni le niveau de bruit ni les vibrations ne nous laissent deviner que nous roulons à 90 km/h.
En freinage de service, nous n’avons pas plus l’impression d’être chahutés qu’en phase d’accélération. Quant au freinage d’urgence, il est très efficace à toute vitesse : à bord du tram 451, nous étions prévenus de bien nous accrocher ! Quant aux futurs voyageurs, ils auront intérêt à suivre le conseil des autocollants bilingues suédois / anglais : « Håll i dig / Hold on tight ».
Le comportement du tram CAF au cours des essais a été exemplaire, aux dires de deux des conducteurs du CEF ayant été appelés à en prendre les commandes : « un peu comme un TER ». D’ici à utiliser ce véhicule comme tram-train, vu la qualité de son roulement sur voie « lourde », il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, l’A36 à quatre caisses sera mécaniquement assez proche des Dualis destinés à la liaison Nantes – Châteaubriant, un tram-train que l’on apercevait à proximité de la voie VEV, proximité de l’usine Alstom oblige ! Mais il n’y a pas que la mécanique : résoudre les problèmes d’alimentation ou de compatibilité électromagnétique sous plusieurs tensions serait une tout autre affaire…
Patrick LAVAL
Fiche technique A35
Constructeur : CAF
Type : tramway bidirectionnel à plancher bas (80 %)
Mise en service : automne 2013
Parc : 15 rames (commande ferme A35)
7 rames (commande A36)
Composition : A35 à trois modules (C1-N-C2), dont deux d’extrémité sur un bogie moteur et un module central sur deux bogies moteurs. A36, avec un module intermédiaire R sur un bogie porteur (C1-N-R-C2)
Unités multiples : possible
Masse à vide : 51 t
Charge par essieu : 10 t max.
Longueur totale : 30 800 mm (A35) 40 200 mm (A36)
Chaudron : châssis acier, caisses aluminium, cabines composites
Hauteur hors panto : 3 633 mm
Plancher bas : accès à 425 mm (par rapport à la voie)
Plancher haut : 715 mm
Largeur ext. : 2 650 mm
Entraxe des bogies : 5 000 mm (module intermédiaire) ou 9 600 mm
Empattement des bogies : 1 850 mm
Diamètre des roues : 630 mm (neuves) 550 mm (usées)
Écartement : 1 435 mm
Alimentation : 750 V CC par ligne aérienne de contact
Puissance totale : 560 kW (valeur nominale)
Traction : convertisseurs IGBT – 8 moteurs asynchrones triphasés (2 par bogie, montés longitudinalement)
Vitesse maximale : 90 km/h en service commercial
Accélération : 1,2 m/s2 max
Freinage : 1,3 m/s2 (service), 2,8 m/s2 (urgence)
Accès : 3 portes doubles (1 300 mm) par côté
Places assises : 72 + 2 UFM
Capacité totale : 275 (dont 203 debout à 7 par m2)
Tvärbanan : une rocade dans la proche banlieue de Stockholm
La section actuellement en service de cette ligne, dont le nom suédois signifie « transversale », a été ouverte par étapes entre 2000 et 2002 et compte 17 arrêts sur 11 km entre Sickla Udde, au sud-est de Stockholm, et Alvik, à l’ouest. Le prolongement (7 km) entre Alvik et Solna, au nord de la capitale, est terminé sur l’essentiel de son tracé. Mais des « problèmes de signalisation » (un nouvel ATP est en cours de livraison par GE Transportation) ont retardé l’ouverture de ce prolongement, qui se déroulera par étapes : navette entre Alvik et le centre de Solna le 28 octobre prochain (7 stations sur 8), puis exploitation commune sans changement à Alvik en août 2014. A cette échéance, l’intervalle minimum devrait passer de 7,5 minutes à 5 minutes, alors que le prolongement nord devrait atteindre la gare de Solna. Un renforcement du parc sera alors le bienvenu !