C’était l’un des documents les plus attendus par les acteurs du secteur ferroviaire : le rapport Grignon sur les « conditions pour une expérimentation portant sur l’ouverture à la concurrence des services de transports ferroviaires régionaux de voyageurs » est enfin, depuis ce mercredi matin 18 mai, sur la table du secrétaire d’Etat aux Transports. Ce document, qui a été distribué à la presse en début d’après-midi et qui est téléchargeable sur le site du ministère, ne contient pas de changement d’orientation par rapport au prérapport dévoilé il y a tout juste un an par Ville, Rail & Transports, il précise tout de même un certain nombre de points. Notamment les plus saillants, portant sur le périmètre de l’expérimentation, le matériel roulant et surtout les transferts de personnel.
Francis Grignon propose de commencer l’expérimentation sur un périmètre restreint, soit sur un groupe de lignes « territorialement cohérent et économiquement équilibré », soit sur un ensemble de lignes d’aménagement du territoire. Pour définir en toute connaissance de cause le périmètre, la SNCF devra mettre à la disposition des régions, autorités organisatrices des transports, « des comptes par ligne » transparents. Ce que se garde bien de faire actuellement la SNCF. Dans ce cadre, le sénateur UMP du Bas-Rhin se prononce pour le recours, comme dans le secteur urbain, à la délégation de service public, « ce qui obligerait l’opérateur à prendre en charge le risque industriel sur les coûts et tout ou partie du risque commercial lié à l’exploitation du service ». Le sénateur rappelle que pour ouvrir à la concurrence l’exploitation des TER, il faudra auparavant modifier la loi d’orientation sur les transports intérieurs (Loti), qui institue le monopole de la SNCF.
Les régions devront pouvoir devenir légalement propriétaires du matériel roulant aujourd’hui possédé à 93 % par la SNCF, « sans perte financière » pour cette dernière, précise le rapport. En clair, les régions devront racheter une partie de leurs TER. Les AOT pourront ainsi transférer le matériel à l’opérateur sélectionné, qui ne sera pas obligé d’investir lourdement en apportant son propre matériel. Les régions pourront alors devenir les gestionnaires du matériel, voire recourir à une société de portage, afin de mutualiser la gestion du matériel roulant si plusieurs régions se prêtent à cette expérimentation. Les opérateurs concurrents devront aussi pouvoir accéder aux ateliers de maintenance de la SNCF contre une redevance.
Le chapitre social, ô combien sensible, est particulièrement développé. C’est sur ces questions que les débats entre les acteurs ferroviaires, SNCF d’une part, opérateurs concurrents d’autre part, ont été les plus âpres. « La loi posera le principe du transfert des contrats de travail des salariés à l’occasion de la reprise d’un service de transport ferroviaire de voyageurs par un nouvel opérateur », précise le rapport. Un transfert sur la base du volontariat, les cheminots conservant leurs droits à la retraite et leurs régimes spéciaux de prévoyance et de sécurité sociale.
Le rapport recommande l’abrogation de la loi du 3 octobre 1940, qui exclut le personnel sous statut du droit commun du travail. Il invite les partenaires sociaux à conclure un accord collectif national qui édictera des règles relatives, notamment à la durée du travail, qui s’appliqueront à toutes les entreprises, y compris la SNCF. Pour la SNCF, la question de l’évolution de ces règles est fondamentale, condition sine qua non d’une ouverture loyale à la concurrence. Faute de quoi, estimait-elle, elle partait d’emblée avec un désavantage compétitif face à des opérateurs concurrents disposant de personnels plus flexibles.
Le rapport souhaite enfin que soit mise en place une formation professionnelle de branche, notamment de tous les conducteurs, qui aurait pour objectif une culture de la sécurité ferroviaire commune à tous, quelle que soit l’entreprise.
Reste maintenant à connaître précisément le calendrier prévu par le gouvernement. Les pouvoirs publics seraient prêts à aller plus loin, affirmait il y a peu le sénateur Grignon. Le gouvernement voulait d’abord laisser passer les élections cantonales, puis surtout les élections professionnelles à la SNCF. C’est fait. Les pouvoirs publics pourraient désormais souhaiter ne pas perturber la campagne de l’élection présidentielle de 2012.
Francis Grignon estime qu’il faudra environ trois ans avant de pouvoir ouvrir le marché. Cela mène vers 2014, une année où de nombreuses conventions TER arriveront à échéance. Le sénateur propose de mettre en place un comité national de suivi, sur le modèle de ce qui avait été fait lors de la régionalisation, pour permettre aux acteurs concernés d’échanger régulièrement sur la mise en œuvre de l’expérimentation. Du côté des régions, on affiche une préférence marquée pour la poursuite des relations contractuelles avec la SNCF. C’est la position affichée par l’ARF. Mais en privé beaucoup ne seraient pas fâchés de pouvoir lancer des appels d’offres pour faire leur choix… et notamment bénéficier de prix plus bas que ne devrait pas manquer d’apporter la concurrence. En période de disette budgétaire, cette perspective est des plus séduisantes pour des régions qui peinent de plus en plus à financer leurs TER.
Marie-Hélène Poingt