Cet été s’annonce comme la dernière ligne droite pour les deux compétiteurs qui s’affrontent encore sur le marché des futures rames à grande vitesse de l’opérateur national italien Trenitalia. Personne ne saurait encore affirmer qui d’Alstom ou de Bombardier va finir par l’emporter, mais ce dernier constructeur est visiblement des plus confiants. Son nouveau train Zefiro, dont une maquette grandeur nature doit être présentée au salon Innotrans, à Berlin, en septembre prochain, fait désormais sa fierté. Quant à Siemens et Kawasaki, ils ont carrément renoncé à remettre une offre, et auraient déjà notifié leur décision sous la forme d’une lettre d’excuses…
Le marché de Trenitalia porte sur l’acquisition de 50 rames avec option polycourant, chacune d’une longueur de 202 m, dans une composition de huit voitures. L’objectif de l’opérateur paraît clair : il voudrait se lancer, sans plus tarder, dans l’exploitation des grands corridors voyageurs internationaux avec, en ligne de mire initiale, la Suisse et la France. Le nouveau matériel roulant, livrable contractuellement 36 mois après la commande, devra être en mesure de circuler à 360 km/h sous courant monophasé 25 kV (soit 10 km/h de plus que la vitesse précisée dans les STI, spécifications techniques d’interopérabilité) et, surtout, à 300 km/h sous courant continu 3 kV, ce qui représente, à l’évidence, une belle performance… En Italie, Bombardier répond à l’appel d’offres avec son Zefiro 300, justement optimisé pour des vitesses maximales en service commercial comprises entre 300 et 360 km/h. La rame de huit voitures (202 m), avec espace « bistro » ou bien restaurant, pourra emporter entre 450 et 600 voyageurs. Une composition de 16 voitures, longue de 402 m, offrirait jusqu’à 1 200 places, sans renoncer pour autant aux aménagements liés à la restauration à bord. L’exploitation optimale du gabarit en partie courante de la caisse, avec resserrement des faces latérales aux extrémités, permettrait d’atteindre ces étonnantes capacités…
Les offres techniques ont été remises à Trenitalia le 20 mai dernier, celles de nature commerciale le seront à la fin du mois de juillet, la décision étant attendue dès septembre. Pour la fourniture des rames, Bombardier s’est associé à Ansaldo-Breda, à qui reviendra la charge de l’assemblage final dans son usine de Pistoia (banlieue de Florence). L’accord conclu avec le constructeur italien vaudrait également pour d’autres zones géographiques dont les contours n’ont pas été révélés. La maîtrise d’œuvre ainsi que la fourniture de tous les éléments du train réputés être « à forte valeur ajoutée » resteraient néanmoins, comme on peut aisément l’imaginer, la chasse gardée de Bombardier…
Bien différent est le montage adopté pour le marché chinois. Bombardier fait ici équipe avec l’industriel local CSR (China South Locomotive & Rolling Stock), dont il détient la moitié des parts. « C’est une co-entreprise », insiste Stéphane Rambaud-Measson, président de la division passagers chez Bombardier. « Présents en Chine depuis quinze ans, nous y sommes le premier constructeur occidental et le troisième constructeur chinois ». Opérant localement sous la raison sociale de Bombardier Sifang Power, la joint-venture dispose d’un site de production à Qingdao. Une toute nouvelle usine, avec travées de 600 m, y est en cours de construction. Sur ce site, l’effectif, déjà fort de 2 500 collaborateurs, devrait bientôt en compter 3 200, voire 3 500. « Nos compétiteurs ont plus volontiers pratiqué le transfert de technologie, ce qui explique, par exemple, que la grande vitesse ferroviaire en Chine soit très inspirée de concepts japonais », commente Stéphane Rambaud-Measson. « Mais nous, au contraire, nous conservons la maîtrise managériale de notre joint-venture, et nous travaillons donc, en quelque sorte, avec nous-mêmes. » La famille Zefiro a d’ailleurs été entièrement développée en Allemagne (où Bombardier occupe le rang de premier constructeur allemand), et plus précisément sur le site de production berlinois de Hennigsdorf, implantation historique au nord de la capitale qui ne regroupe pas moins de 550 ingénieurs. Toutefois, aux dires mêmes du responsable mondial pour Bombardier (Etats-Unis exceptés) de tous les véhicules ferroviaires pour le transport de passagers (du tramway au train à grande vitesse), les Occidentaux auraient grand tort de vouloir continuer à sous-estimer les capacités des ingénieurs chinois à développer par eux-mêmes des projets ferroviaires de très haute technicité. Pour Stéphane Rambaud-Measson, il ne fait désormais plus aucun doute que les futurs compétiteurs de Bombardier seront bien, à l’avenir, des compétiteurs en provenance d’Asie…
En attendant, la Chine représente aujourd’hui « le » marché de la grande vitesse ferroviaire dans le monde. D’ici une dizaine d’années, ce pays disposera de 16 000 km de lignes nouvelles, alors que l’Europe tout entière n’en aura pas même le tiers ! Pour Bombardier, la première commande chinoise, intervenue en octobre 2007, portait sur le Zefiro 250 (vitesse maximale en service commercial égale à 250 km/h), dont un total de 40 rames, soit 640 voitures, sera finalement livré pour un montant global d’un milliard d’euros. Ces rames peuvent être exploitées en composition de huit ou seize voitures, atteignant alors une longueur de 430 m. Le MOR (ministère chinois des Chemins de fer) a spécifié, pour une partie de ces trains, de luxueux aménagements de type « voitures-lits », option totalement inédite en grande vitesse ferroviaire… Un deuxième contrat a été signé en septembre 2009, pour un montant de 2,7 milliards d’euros, et qui concerne, cette fois, le Zefiro 380. C’est la version la plus rapide de la famille, puisqu’elle est normalement prévue pour une vitesse maximale en service commercial de 380 km/h, et doit être essayée à 420 km/h. La commande chinoise prévoit 60 rames de seize voitures et 20 rames de huit voitures, soit un impressionnant total de 1 120 voitures. Bien que le MOR ait préféré une configuration d’aménagement moins dense, Bombardier souligne que son Zefiro 380 pourrait théoriquement accueillir jusqu’à 664 voyageurs dans la version à huit caisses, et 1 336 dans celle à seize caisses, sans renoncer, pour autant, à l’espace « bistro » ! En composition maximale, le train disposera d’une puissance embarquée de 20 MW. La « motorisation répartie » porte sur la moitié des bogies, ce qui majore la masse adhérente et favorise, du même coup, les capacités d’accélération et de freinage du train. Dans sa version italienne, le Zefiro affichera une accélération de 0,7 m/s2, chiffre impressionnant pour un train à grande vitesse…
Le nouveau matériel de Bombardier incorpore aussi plusieurs dispositions constructives développées tout spécialement en vue de parfaire son aérodynamisme. En particulier, les césures entre caisses ont été obturées pour y éviter la formation de turbulences, et la zone des pantographes ne laisse apparaître aucun autre équipement saillant susceptible de perturber les écoulements d’air. Ce traitement conduirait déjà à une diminution de 9 % de la consommation d’énergie par le train. Reste maintenant à voir le Zefiro s’envoler enfin de la planche à dessin pour filer à 360, 380 et 420, un instant que nous attendons tous avec une vraie impatience, puisqu’il devra nous montrer que les promesses de Bombardier étaient décidément tout sauf… du vent !
Philippe HÉRISSÉ