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laviedurail.com

Les cinq questions que pose l’affaire Eurostar

20 octobre 2010
- -
Par : La Vie du Rail

Cela a commencé comme une opération de communication rondement menée. Le 7 octobre, alors qu’Eurostar révélait tambour battant, lors d’une conférence de presse au Royal Albert Hall, la célèbre salle de concert londonienne, qu’il avait choisi Siemens comme constructeur de ses futures rames à grande vitesse dites « e320 », livrables en 2014, la maquette « grandeur nature » d’une motrice de cette même rame trônait déjà de l’autre côté de la rue, dans les jardins de Hyde Park. Cette motrice – apparemment réalisée à partir d’un vrai chaudron directement issu, comme les futurs trains, de la plateforme Velaro –, révélait le nouveau design extérieur du matériel Eurostar dessiné par le styliste italien Pininfarina. Jusque-là, on restait dans le registre classique de la présentation d’un nouveau train par un opérateur. Mais les jours suivants, patatras ! Le choix de la compagnie a déclenché une véritable levée de boucliers en France, orchestrée par les ministères de l’Écologie et des Transports et le constructeur éconduit, Alstom. Eurostar s’est-il fourvoyé en choisissant des rames non conformes, ou s’agit-il de manipulations visant faire capoter l’affaire au profit d’Alstom ? Éléments de réponse.

 

 

1. POURQUOI EUROSTAR A-T-IL CHOISI SIEMENS ?

À la suite de la passation d’un appel d’offres européen, Eurostar a retenu le constructeur allemand Siemens pour la fourniture de dix trains à grande vitesse e320 (désignation qui fait référence à leur vitesse maximale en service commercial, égale à 320 km/h). Sous réserve, comme à l’accoutumée, de la finalisation des actuelles négociations contractuelles. La signature définitive devrait intervenir dans les prochaines semaines. Pour Nicolas Petrovic, directeur général d’Eurostar, cette décision est bien tout, sauf un hasard : « Notre choix résulte d’un processus très rigoureux, où de nombreux ingénieurs de chez nous ont été impliqués ». Les critères mis en avant ont été essentiellement l’aptitude à l’interopérabilité, le prix, le confort et la capacité. L’interopérabilité semble de toute évidence au cœur des plus récentes préoccupations d’Eurostar qui, le 1er septembre 2010, a abandonné un statut de partenariat entre opérateurs nationaux « historiques » ou assimilés (SNCF, SNCB et LCR), pour celui d’une entité juridique unique passant, au demeurant, pour être aujourd’hui la toute première entreprise ferroviaire paneuropéenne de transport de voyageurs. Une situation qui lui donne clairement de nouvelles ambitions : « En 2014, nous voulons posséder la meilleure flotte de trains à grande vitesse en Europe, celle qui offrira à la fois le plus de confort et d’élégance, pour que le voyage devienne un vrai plaisir », clame Nicolas Petrovic. Dans cette perspective, le plan d’investissement de 820 millions d’euros sur le matériel roulant, tel qu’annoncé au Royal Albert Hall le 7 octobre, est pour sa plus large part, consacré à l’acquisition des nouveaux trains e320, une enveloppe de 200 millions étant toutefois réservée à la rénovation des rames TMST actuelles aux ateliers SNCF d’Hellemmes et leur « relookage » dans le même style signé Pininfarina. L’opérateur qui, depuis ses débuts en 1994, a déjà transporté quelque 103 millions de passagers dont neuf l’an passé, entend mettre à profit le caractère éminemment interopérable des futures rames e320 pour desservir de nouvelles destinations en Europe, notamment aux Pays-Bas (Amsterdam) et en Suisse (Genève). Grâce à leur vitesse de 320 km/h, elles autoriseraient le tracé de trains Paris – Londres en à peine plus de deux heures, Londres – Genève en cinq, et Amsterdam – Londres en quatre heures.

 

 

2. POURQUOI AVOIR VOULU CACHER CET APPEL D’OFFRES ?

En mars 2009, quand nous avons révélé dans nos colonnes l’existence d’une consultation pour de nouveaux trains (portant au départ sur huit rames en tranche ferme, plus quinze en options) Eurostar nous avait opposé un démenti. « Un appel d’offres… mais il n’y a pas d’appel d’offres ! », avait-t-on souligné à cette occasion. Le démenti est ensuite venu à plusieurs reprises du plus haut niveau à la SNCF, chez Eurostar et même chez Alstom. « Nous ne savions pas, jusqu’à la remise des offres, si nous allions ou non acheter de nouvelles rames », justifie Nicolas Petrovic. « Nous testions le marché pour savoir si un constructeur pouvait répondre à nos attentes… ». Au sens littéral du terme, ce n’est pas faux, il n’y a pas eu d’appel d’offres. Mais si l’on veut être parfaitement honnête, la procédure d’ITN (invitation to negociate) qui a été utilisée revient pratiquement au même. Cet appel à fourniture réservé aux sociétés de droit privé (dont fait partie Eurostar malgré son capital public), est simplement moins contraignant que les appels d’offres (call for tender). Dans un ITN, on peut s’affranchir d’une bonne partie des contraintes légales pesant sur les marchés publics, notamment l’obligation de publicité. On limite par ailleurs la possibilité de recours pour les entreprises éconduites. Même si Alstom a annoncé examiner les possibilités sur le terrain légal. Cette procédure aura permis à Eurostar de traiter sa commande en sous-marin. Avantage : ne pas révéler trop tôt à la concurrence sa future stratégie de dessertes en faisant état de ses besoins en matériel roulant. L’appel d’offres a bel et bien été dévoilé et le 7 octobre, Eurostar a annoncé avoir désigné Siemens candidat préféré. Après le « coming out » de la commande, il reste un dernier pas à franchir, celui de la signature. Paradoxalement, ce n’est pas forcément le plus facile.

 

 

3. EUROSTAR VEUT-IL DESSERVIR L’ALLEMAGNE ?

Le matériel e320 est directement issu de la plateforme Velaro (nouveaux trains à grande vitesse construits à 100 % par Siemens, qui circulent déjà en Espagne, Chine et Russie, et dont la dernière version, dite « Velaro D », commandée par la DB, sera mise en service l’an prochain entre la France et l’Allemagne). Ce matériel se présentera sous la forme d’une rame de 400 m, composée de seize voitures reposant chacune sur deux bogies, avec intercirculation de bout en bout, disposition la rendant équivalente au matériel actuel au regard des modalités d’évacuation en tunnel. Avec une capacité supérieure à 900 voyageurs, cette rame offrira, pour une longueur égale à celle des trains TMST, un accroissement de 20 % du nombre de places. L’e320 est annoncé comme tricourant (continu 1,5 et 3 kV, alternatif monophasé 25 kV), apte à circuler sur les réseaux belges, français et néerlandais, ainsi que sur la nouvelle LGV « High-Speed One » en Grande-Bretagne. La tension alternative 15 kV à la fréquence de 16,7 Hz demeure jusqu’ici « optionnelle ». Ce qui laisse dans l’ombre l’utilisation éventuelle, un jour, sur le réseau allemand, dudit matériel… Mais on sait que la relation Francfort – Londres est « à fort potentiel »… Aucune décision ne semblerait avoir été arrêtée, pour le moment. Toutefois, l’arrivée programmée de l’ICE en Grande-Bretagne pourrait hâter les choses. En vue d’une exploitation Londres – Allemagne, à laquelle la DB est candidate à partir de décembre 2013, deux rames à grande vitesse de la DB devaient être présentées à Londres le 19 octobre, après un test d’évacuation d’urgence en grandeur réelle dans le Tunnel le dimanche précédent. Une chose est sûre : si Eurostar ne va pas en Allemagne, c’est l’Allemagne qui va venir à lui.

 

 

4. VELARO ET TUNNEL SOUS LA MANCHE SONT-ILS COMPATIBLES ?

Avec les normes actuelles, Eurostar et Alstom disposent de fait d’un monopole technique d’accès au Tunnel pour le segment grande vitesse. Mais Eurotunnel souhaite vivement optimiser l’utilisation du Tunnel : 50 % de sa capacité seulement est aujourd’hui utilisée.

L’e320 est un train « à motorisation répartie » avec 16 bogies moteurs sur un total de 32. La puissance de traction ainsi embarquée s’élève à 16 000 kW, tandis que la charge à l’essieu demeure inférieure à 17 t. À la différence des TMST, cette rame ne sera pas « sécable » au sens de la Commission intergouvernementale (CIG) garante de la sécurité dans le Tunnel, puisque cette disposition a été abrogée par ladite commission le 31 mars dernier, le conducteur d’arrière étant néanmoins, bien sûr, conservé en exploitation. La « sécabilité », avec attelage fusible en milieu de rame, permettait de la « couper » en un minimum de temps en deux demi-rames, pour qu’en cas d’incident grave affectant l’une d’elles, ses voyageurs puissent tous être regroupés dans l’autre et acheminés jusqu’à l’air libre. La procédure n’a jamais été mise en œuvre depuis 1994, année de lancement du service…

Si la sécabilité n’est plus exigée, un certain flou semble subsister quant à la motorisation répartie, question qui ne s’était nullement posée pour la première génération de rames Eurostar conçues sur le modèle du TGV, à une époque où seuls les Japonais exploitaient des trains à grande vitesse pourvus d’une telle motorisation. Aux dires d’un proche du dossier, cette architecture nouvelle n’est pas rédhibitoire, mais nécessiterait néanmoins un audit de sécurité. Aussi serait-il donc sage pour le « client », opérateur ou constructeur, d’anticiper, selon lui, en déposant un dossier que la CIG puisse valider pour le Tunnel, à la manière des homologations « classiques » sur les réseaux appelés à être parcourus par le nouveau matériel. Les détracteurs de la motorisation répartie mettent en avant, évidemment, le fait que moteurs et équipements de traction n’étant plus concentrés sur les motrices d’extrémité mais au contraire distribués sous le plancher des voitures tout au long de la rame, le départ d’un incendie d’origine électrique pourrait survenir en beaucoup plus d’endroits différents et avec davantage de proximité par rapport aux voyageurs. Pour faire bonne mesure, il faudrait néanmoins se souvenir que l’immense majorité des RER et métros dans le monde sont à motorisation répartie, ce qui ne paraît pas émouvoir grand monde… « Il semble y avoir désormais des doutes émis par la partie française de la Commission intergouvernementale qui nous avait pourtant dit, quelques mois auparavant, qu’il n’y avait pas de problème. C’est comme si on refusait les avions à réaction au prétexte qu’on veut garder les avions à hélices ! », s’étonne Nicolas Petrovic, face à la réaction de la France. « Il y a eu une consultation publique en fin d’année dernière et au début de cette année et, en mars, la CIG a écrit qu’elle avait l’intention de moderniser les règles de sécurité dans le Tunnel. Nous avons donc basé les spécifications de notre appel d’offres sur les résultats de cette consultation binationale. En particulier, la commission nous avait donné son accord de principe sur la motorisation répartie. Bien sûr, nous ferons toutes les études complémentaires qui se révéleraient nécessaires. Mais l’ensemble des soumissionnaires nous ont remis des offres en motorisation répartie. Y compris Alstom qui proposait son AGV, en nous disant qu’il n’y avait pas de dégradation de la sécurité avec une telle solution. S’ils pensaient que c’était si dangereux que ça, ils n’auraient pas pris un tel risque ! », poursuit Nicolas Petrovic. L’argumentation française fondée sur l’utilisation de la motorisation répartie a de quoi laisser pantois : « Quand Eurostar a lancé son appel d’offres, nous nous sommes préparés à y répondre avec un train évidemment conforme à la réglementation. Mais la direction d’Eurostar nous a demandé une proposition à motorisation répartie, en précisant que l’appel d’offres ne serait pas mené à son terme si la technologie n’était pas homologuée. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé », a indiqué, pour sa part, le patron d’Alstom, Patrick Kron, dans un entretien au Figaro. « Nous pensons que la motorisation répartie est une technologie d’avenir, nous ne voyons pas pourquoi elle serait interdite dans le Tunnel. On ne va pas continuer d’exploiter ce tunnel jusqu’en 2086 avec les règles de 1986 », a indiqué Jacques Gounon, président d’Eurotunnel.

 

 

5. COMMENT INTERPRÉTER LE GRAND ÉCART FRANCAIS ?

Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau, qui sont les ministres de tutelle de la SNCF dont Eurostar est maintenant une filiale à 55 %, ont dit leur « stupéfaction » de « la non prise en compte par Eurostar des règles de sécurité applicables dans le Tunnel ». Le fond du problème réside-t-il vraiment dans l’anticipation de l’évolution de règles de sécurité que la CIG a engagée, ou, comme on peut le penser, dans le résultat de la consultation, défavorable au champion français du TGV, Alstom ? En tous les cas, les deux ministres étaient bien moins « stupéfaits» qu’ils ont souhaité le laisser entendre à l’opinion. Comme l’a révélé Challenges, Jean-Louis Borloo avait écrit à Eurostar dès le 4 octobre pour le mettre en garde sur le choix d’un train à motorisation répartie. D’après certaines sources, une stupéfaction plus authentique serait venue de l’Élysée ou, comme on le sait, Alstom a ses entrées. Après l’invitation en grandes pompes à Londres, le 7 octobre, en présence de Philip Hammond, secrétaire d’État britannique aux Transports, le gouvernement français a sifflé la fin de la récréation. Nicolas Petrovic, qui devait déjeuner avec des journalistes français le vendredi, ne s’est pas présenté. Et les meilleures sources sur le sujet se sont taries, cédant le terrain à la contre-offensive politico-industrielle des deux ministres et d’Alstom, la SNCF se gardant de tout commentaire. Mais en Europe, pas plus qu’en France, les objections du camp tricolore n’ont convaincu. « Si la faute d’Eurostar avait été rapidement établie de manière convaincante, cette position de la France pourrait tenir, mais ce ne semble pas être le cas. La France offre au contraire l’image d’un pays protectionniste, et ce, à l’encontre d’un de ses principaux partenaires européens », regrette un industriel.

Trop désireuse de placer son AGV, l’industrie française n’aura pas su appréhender toutes les facettes de la mutation stratégique d’Eurostar. À travers la prise de participation majoritaire de la SNCF au capital d’Eurostar, la France aura peut-être lu « on est chez nous ». Il fallait sans doute également relever qu’Eurostar gardait 40 % de capital britannique et surtout, devenait une entreprise de plein droit, c’est-à-dire libre de ses choix, au premier rang desquels celui du matériel roulant : un enjeu majeur pour la survie dans un marché libéralisé. Pour Eurostar, la cause est entendue. Aujourd’hui, l’opérateur ne veut pas être l’otage de préférences nationales. Il doit simplement gagner son argent en offrant le meilleur à ses clients. Et qu’importe si ce « meilleur » vient de France, d’Allemagne ou d’ailleurs… Les semaines qui viennent diront si Eurostar est véritablement en capacité de choisir ses trains librement.



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