Depuis son arrivée chez SNCF Transilien en 2020, Alain Ribat a pris les rênes de l’entreprise en juillet 2023, succédant à Sylvie Charles. Responsable du transport quotidien de 3,4 millions de Franciliens, il fait face à des défis majeurs : réussir les Jeux Olympiques de Paris 2024 et remporter les appels d’offres des lignes de trains de banlieue progressivement ouvertes à la concurrence. Il était l’invité du Club VRT, le 13 juin.
Le réseau ferroviaire francilien est unique par sa taille, sa densité et sa complexité. SNCF Transilien assure le transport quotidien de 3,4 millions de voyageurs, soit 70 % du trafic de la SNCF sur 10 % du réseau. Avec une infrastructure vieillissante, le réseau se prépare à accueillir les spectateurs des Jeux olympiques et paralympiques. «Nous serons prêts», assure Alain Ribat, directeur de SNCF Transilien. L’entreprise s’y prépare depuis quatre ans et souhaite démontrer son savoir-faire. La Coupe du monde de rugby a été un premier test réussi, et Transilien a l’habitude des grands événements au Stade de France. Pendant les Jeux, Transilien devra gérer l’équivalent de deux Stades de France pleins à craquer par jour. Pour faire face à cet afflux, le transporteur prévoit 4 500 trains supplémentaires par rapport à un été classique.

Mobilisation maximale pour les JO
Pour disposer des moyens humains nécessaires, 13 000 salariés seront mobilisés, incluant des renforts externes et des CDD. Le personnel du siège prêtera également main forte aux équipes sur le terrain pour faire des Jeux de Paris 2024 « une belle fête ». Des mesures sociales incitatives et des primes allant jusqu’à 1 900 euros seront distribuées pour encourager les collaborateurs à différer leurs congés d’été.
Un gros travail de formation a été engagé pour préparer les équipes. Un millier de collaborateurs a été formé à gérer le surplus de voyageurs. Un algorithme aidera à comptabiliser les entrées et sorties dans les trains et les gares pour éviter les dépassements de capacité et prévoir des délestages vers d’autres moyens de transport. Transilien a prévu un dispositif pour gérer les flux de voyageurs jour par jour, heure par heure dans les 50 gares desservant les 22 sites olympiques. « Rien n’a été laissé au hasard », assure son directeur.
Malgré tous les préparatifs, l’entreprise devra faire face à des aléas. Elle s’y prépare avec Ile-de-France Mobilités (IDFM), Paris 2024 et les préfectures de Police et de région. « Avec SNCF Réseau et la RATP, nous avons mis en place des scénarios, établi des plans B, travaillé à proposer davantage de trains sur des lignes de substitution, le plus vite possible, en cas de problème. Nous ne pouvons pas empêcher les aléas, mais nous avons des scénarios de retournement et faisons en sorte que les équipes soient formées et rôdées », détaille le directeur. Les collaborateurs de Transilien sont entraînés « comme des athlètes » pour gérer les situations auxquelles ils pourraient faire face.
Peter Hendy, ancien directeur de Transport for London durant les Jeux olympiques de Londres en 2012, a rassuré Alain Ribat : « Vous êtes opérateur de mass transit, vous saurez faire. » Les voyageurs venant pour les Jeux auront des exigences moindres que ceux du quotidien, selon Hendy. Les spectateurs seront majoritairement français, autour de 60 %. Pour aider les étrangers, l’information dans les trains sera délivrée en trois langues, et une appli, TradSNCF, permettra de communiquer en 130 langues. Les équipes ont aussi été sensibilisées aux besoins des personnes à mobilité réduite (PMR) et une application pour aider les malvoyants à s’orienter a été mise au point.
Le mass transit au quotidien
Ces outils continueront à être utilisés après les JO pour améliorer le service aux voyageurs du quotidien sur les 18 lignes de train, RER et tram-train en Ile-de-France. « Des lignes de Transilien dont on parle davantage pour souligner ce qui ne fonctionne pas bien, alors que la grande majorité d’entre elles ne connaissent pas de problème, regrette Alain Ribat. Lorsqu’on assure le transport de volumes massifs de voyageurs, il est impossible d’éviter les aléas, mais Transilien sait les gérer », insiste-t-il. Pour améliorer les process, Transilien organise régulièrement des « learning expeditions ». « Nous allons voir nos confrères à l’étranger pour nous enrichir de leurs bonnes pratiques. Cela nous a permis de vérifier que nous nous en sortions plutôt pas mal, même si les Japonais sont vraiment au-dessus du lot », poursuit le patron des trains franciliens.

Les RER B et C sont particulièrement complexes à exploiter en raison de la vétusté des infrastructures ferroviaires. Des travaux d’entretien et de rénovation sont nécessaires, même si cela entraîne des désagréments pour les voyageurs avant qu’ils n’en voient les bénéfices. Ces lignes bénéficieront de nouveaux matériels, comme les MI20 sur la ligne B en 2027, nécessitant une révision des infrastructures. Les efforts de Transilien ont amélioré la ponctualité des trains sur ces lignes : 91,7 % en moyenne et 90 % sur le RER C. « C’est mieux qu’en 2023, mais cela reste fragile », reconnaît Alain Ribat, comptant sur les travaux de modernisation pour poursuivre l’amélioration des lignes B, C, L et J.
Pour limiter l’impact des travaux, Transilien anticipe, informe, travaille avec les associations d’usagers et les élus, et met en place des bus de substitution. « Opérer des bus en sous-traitance est devenu un nouveau métier. Mais nous avons conscience qu’un bus ne remplace pas la qualité de service d’un train », souligne Alain Ribat. Il attend beaucoup du travail réalisé en coordination avec les parties prenantes, notamment les opérateurs et la préfecture de Police. Les bagages abandonnés étant une cause importante des dysfonctionnements, l’opérateur ferroviaire fait preuve de discernement pour minimiser leur impact. « Nous avons 20 minutes pour faire passer les chiens afin de lever le doute, avant que la police intervienne pour éventuellement évacuer la gare. Grâce au dispositif mis en place, ces incidents n’entraînent qu’exceptionnellement des évacuations de gare », constate Alain Ribat.
Le centre de commandement unique du RER A à Vincennes a été modernisé, permettant de rassembler les responsables de la SNCF et de la RATP pour mieux se coordonner. Le RER A, le plus fréquenté d’Europe avec 1,3 million de passagers par jour, a vu sa ponctualité repasser la barre des 90 %. Le dirigeant attend maintenant un dispositif similaire à Saint-Denis pour les RER B et D.
La concurrence a commencé
L’ouverture progressive à la concurrence des trains de banlieue d’ici à 2039 est un autre défi majeur. SNCF Voyageurs et Keolis ont déjà remporté le premier lot ouvert : les lignes de tram-train T4 et T11 et la branche Esbly-Crécy de la ligne P. En revanche, la RATP Cap Ile-de-France a gagné l’exploitation des trams trains T12 et T13 à partir de l’année prochaine. Une déception pour Alain Ribat, qui rappelle que la ligne T13 fonctionne bien aujourd’hui malgré des difficultés initiales. La ligne T12, mise en service en décembre 2023, connaît encore des difficultés avec une ponctualité de 80 %, en-dessous de l’objectif contractuel de 92 %. « Il y a un temps de déverminage », commente Alain Ribat. Les problèmes de signalisation et de voies, ainsi que les difficultés de recrutement de conducteurs, sont des défis supplémentaires. « Nous aurions dû prévenir qu’il faudrait du temps pour roder la ligne et tester le matériel », admet-t-il.
La prochaine ligne en appel d’offre, la L, marquera une étape importante dans l’ouverture à la concurrence. Transilien a déjà répondu à l’appel d’offres initial en janvier 2023 et s’apprête à remettre une nouvelle offre en octobre. L’attribution devrait être décidée fin 2024, et l’exploitation démarrer 18 mois plus tard. « On veut la gagner et on s’en donne les moyens », assure le directeur de Transilien, qui travaille déjà sur les prochains marchés : la ligne J en 2025, le RER E, les lignes N et U en 2026, la ligne R en 2026/2027, et ainsi de suite jusqu’en 2039. « Un appel d’offres, c’est quatre ans de préparation pour des équipes dédiées qui ont pour mission de remettre les offres les plus performantes à IDFM », explique Alain Ribat. Il faut envisager des transformations prenant en compte la performance économique et l’aspect social. « Nous n’avons pas vocation à remettre une offre qui nous ferait perdre de l’argent. Nous répondrons à tous les appels d’offres en étant comptable de l’argent public. En répondant, il faut à la fois satisfaire les demandes d’IDFM et celles des salariés. Nous ne proposerons pas d’offres socialement low cost », insiste-t-il. La perspective inquiète aussi les conducteurs de trains, spécialisés sur un lot de lignes, défini en fonction de l’ouverture à la concurrence. « Il faudra dédier des conducteurs à chaque ligne », reconnaît le directeur de Transilien. Mais Transilien exploite de nombreuses lignes et peut continuer à faire tourner les équipes. « À nous de faire évoluer et grandir les conducteurs. C’est la clé de notre organisation. »
De nouveaux automates dans les gares
Le choix de maintenir des agents dans les 400 gares franciliennes est décidé par Île-de-France Mobilités en fonction de leur fréquentation. Pour garantir la possibilité d’entrer en contact avec un agent dans les gares, même les moins fréquentées, des automates de mass transit sont installés. Ils permettent d’appeler un opérateur et d’échanger avec lui par écran interposé, en cas de problème lors de l’achat d’un billet. Le déploiement de cette nouvelle génération d’automates sera terminé d’ici 2026.
Le plus gros contrat de la SNCF
Si IDFM définit ses attentes dans les cahiers des charges, Transilien assure jouer un rôle de conseil auprès de l’autorité organisatrice des transports d’Ile-de-France. Entre les deux, un contrat de 3,1 milliards d’euros par an. Soit le plus gros contrat de la SNCF. Au chapitre des investissements, 8,1 milliards d’euros sont programmés sur le réseau francilien entre 2020 et 2025. Le contrat prévoit des engagements en matière de ponctualité, de qualité de service et de bon fonctionnement des équipements en gare. Pour inciter la SNCF à les respecter, Île-de-France Mobilités prévoit des bonus/malus pouvant atteindre 100 millions d’euros par an, contre 23 millions dans le contrat précédent. Alain Ribat assure que l’entreprise a déjà amélioré la ponctualité de ses lignes en difficultés en 2023, ce qui lui permet de se rapprocher du niveau attendu et d’être aux objectifs sur la qualité perçue par les voyageurs, avec près de 80 % de satisfaits. « Nous avons beaucoup progressé, mais avec 20 % d’insatisfaits, il reste encore une marge de progression », reconnaît-il.
Le contrat signé avec IDFM inclut également de nouveaux indicateurs, comme le niveau de l’offre, qui doit revenir au niveau d’avant-Covid, d’ici fin 2024. « Nous y serons ! », assure Alain Ribat. IDFM a aussi fixé des objectifs de lutte contre la fraude, qui représente plusieurs centaines de millions d’euros de manque à gagner annuel. Pour réduire la fraude, Transilien a renforcé les équipes de contrôle à bord des trains et dans les gares, et met en place des opérations coup de poing. Les nouveaux appareils de validation contribuent aussi à faire baisser la fraude de manière significative. C’est le cas des portillons dotés de portes plus hautes déployés gare Saint-Lazare.
Pour simplifier le parcours des voyageurs, le transporteur compte aussi sur l’intelligence artificielle, qui permet par exemple de compter le nombre de personnes qui montent ou descendent des trains, d’informer les voyageurs en temps réel sur la fréquentation de chaque voiture et enfin de les encourager à mieux se répartir dans les rames. Ce dispositif déjà proposé sur les lignes A et B du RER sera étendu sur les lignes L et J des Transilien. Pour améliorer la sûreté et le sentiment de sécurité, Transilien expérimente à la gare de Cergy Préfecture, des zone d’attente partagée baptisées « safe zones » et situées sous les caméras de vidéo, ou à proximité de bornes d’appels. Aux heures de moindre affluence, le transporteur incite les voyageurs à attendre dans ces espaces. Pour influencer leur comportement, il utilise également des « nudges » (science comportementale). Les experts en psychologie sociale de la « Nudge unit » de Transilien ont lancé un comité d’expérience comportementale qui observe les impacts de ces outils sur la gestion des flux, l’information, ou encore la sûreté et la sécurité des voyageurs et voyageuses.
Valérie Chrzavzez