Nicolas
Bouzou, (économiste, directeur du cabinet Asterès)et Juliette Hubert
(directrice des études territoriales du cabinet Asterès)
Nicolas
Bouzou et Juliette Hubert : On surestime l’effet du TGV sur la
croissance. Disons qu’il l’accentue plutôt qu’il ne la crée. Il y a bien
un petit impact. Mais il y a de plus forts facteurs sur l’emploi, comme
les impacts sectoriels qu’en aucun cas le TGV ne peut enrayer.
LVDR. Sur quoi vous fondez-vous ?
N.
B. et J. H. : Nous avons regardé l’emploi dans les territoires. Par
exemple la région Auvergne, et, pour nous, l’effet d’un TGV serait
plutôt… négatif. Nous avons aussi comparé des villes, pas trop
éloignées, en regardant l’évolution de l’emploi dans les mêmes types de
secteurs. Amiens, qui n’a pas de desserte TGV, va plutôt mieux que
Lille, du moins jusqu’à ces derniers temps. Entre Strasbourg et
Mulhouse, l’avantage va plutôt à Mulhouse… Alors, si on fait une
analyse coût/avantage, et qu’on met en balance le coût de développement
d’une ligne TGV et les bénéfices qu’on peut en attendre, pour nous, il
n’y a pas photo. Et comme il y a des arbitrages à réaliser, quitte à
décevoir certaines régions, il faut « mettre le paquet » sur les
infrastructures de transport en Ile-de-France. Les problèmes de
transport en Ile-de-France font économiquement du mal à la région et
cela fait du mal à la France.
LVDR. Alors, le TGV n’apporte rien ?
N. B. : Si, il apporte des choses mais qui sont « non-économiques ». Il apporte du bien-être, il prend des parts de marché au transport aérien et cela n’est pas négligeable.
LVDR. Cela ne suffit pas. Pourquoi les élus le réclament-ils ?
N. B. et J. H. : Parce qu’il est devenu un symbole pour un territoire. Et les élus ne font pas un calcul coût/avantage. En fait il apporte énormément à une métropole. Mais la France n’a pas beaucoup de métropoles. Elle en a deux, Paris et Lyon, auxquelles on pourrait ajouter Marseille si Marseille jouait son rôle. Aussi, lorsque Karine Berger invite à mettre dans la balance les avantages socio-économiques, elle a raison. C’est ce que nous faisons. Le problème, c’est qu’on a un rendement négatif.
N. B. : Il y a un fantasme du train, en France, depuis le XIXe siècle. Il y a des territoires qui ont bénéficié du chemin de fer. Mais cela ne s’est pas produit partout. Pecqueur, un économiste du début du XIXe, avait déjà montré que le train allait créer des sortes de métropoles. De la même façon, voyez la théorie de Paul Krugman, prix Nobel d’économie. Il montre que des bonnes relations n’assurent pas de péréquation entre les territoires, que c’est le contraire.
LVDR. Cela va contre les idées reçues, d’un lien vertueux entre désenclavement et croissance
N. B. : Voyez Gap, qui est une ville est assez enclavée. Gap a un cluster autour du vol à voile. Si on désenclave, c’est peut-être bon pour le pays, mais cela va déstabiliser l’économie de Gap, peut-être le cluster, à coup sûr les commerces.
J. H. : Si nous sommes sceptiques sur les LGV, on peut être encore plus critique sur les gares dans les champs. Lille s’est battue pour avoir le TGV en centre-ville et a eu raison. Voyez la gare Lorraine, ou Meuse TGV. Aucun impact sur l’emploi. Si on est en plein champ, il n’y a pas le strict nécessaire pour qu’il y ait un impact
.