Cela revient comme un leitmotiv. Régulièrement, des régions montent au créneau pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de desserte par TER. Mais cette fois-ci, un cran semble avoir été passé.âEt il y a de quoi : en Aquitaine par exemple, en janvier et février, reconnaît la SNCF, le taux de ponctualité a chuté brutalement à 80 % environ, « après une année 2011 encourageante ». En cause, les travaux sur le réseau mais aussi et surtout, selon les élus régionaux, des problèmes d’exploitation et des pannes de matériel.
En Franche-Comté, l’insatisfaction des voyageurs atteint des niveaux records sur certaines lignes, affirme le conseil régional, qui dénonce des retards incessants et des suppressions de trains, auxquels s’ajoute depuis décembre dernier la refonte des horaires de nombreuses circulations.
La Picardie quant à elle affirme subir une très nette détérioration de la qualité de services sur ses axes régionaux, avec des retards en cascade, des trains bondés quand ils ne sont pas annulés.â
Tout cela fait les gros titres de la presse régionale. Période préélectorale ou volonté de rappeler qui est le patron dès lors que la situation de monopole de la SNCF ne semble plus garantie ? Les élus ne sont plus prêts à laisser passer les dysfonctionnements, d’autant qu’ils estiment payer de plus en plus cher la prestation TER. Et ils le font savoir haut et fort.
Alain Rousset, le président du conseil régional d’Aquitaine, a dégainé le premier en février. « Sur certaines lignes comme Bordeaux – Agen, via Langon, près de 253 retards ont été enregistrés depuis le début de l’année par une association d’usagers », a rappelé l’élu socialiste, également président de l’Association des régions de France (ARF), en demandant des comptes à la SNCF.â
Devant l’incendie qui menaçait, la SNCF a réagi. Le 24 février, Jean-Pierre Farandou est venu prendre des engagements pour redresser la situation. Le patron de SNCF Proximités a promis de mobiliser des moyens humains supplémentaires en Aquitaine pour parvenir à un taux de régularité de 90,5 % demandé par la région. Cela dans le cadre d’un système de pénalités durci en cas de manquements à ces obligations.
La SNCF s’engage à fournir à la région un récapitulatif des problèmes rencontrés et des mesures pour y remédier. Enfin, elle va finaliser, d’ici au 10 mars, « un plan de progrès comprenant des indicateurs permettant une évaluation régulière », rappelle le conseil régional. « Les actions proposées seront testées pendant deux, trois mois, puis intégrées à un avenant liant la région et la SNCF, avec un suivi tous les deux mois. » Enfin, la SNCF promet « une transparence en temps réel » vis-à-vis de la région.
La SNCF a aussi entendu le message du président de la Picardie qui a organisé une conférence de presse le 22 février à Creil pour se faire l’écho du mécontentement des usagers de sa région. « Je reçois chaque jour des E-mails d’usagers mécontents, ça ne peut plus durer, il faut que la SNCF se bouge », a prévenu Claude Gewerc, menaçant de suspendre les paiements de la région à la SNCF, tant le service est « exceptionnellement dégradé ». Une dégradation due en partie au cadencement mis en place depuis décembre dernier. « Nous avions prévenu la SNCF qu’elle n’avait pas les moyens d’un changement aussi important avec des machines dont la moins vieille a 40 ans d’âge », rappelle Daniel Beurdeley, vice-président du conseil régional, chargé des transports. Mais la région met surtout en cause « la fragilité de l’organisation de la SNCF », ainsi que « ses difficultés à gérer des situations perturbées et à revenir à une situation normale ».
Invitée à s’exprimer, la direction régionale SNCF a, là encore, sorti un dispositif de mesures pour redresser la barre. Elle s’engage notamment à augmenter la capacité de certains trains aux heures de pointe et à faire « un geste commercial » sur les abonnements d’avril, indique-t-on du côté du conseil régional.â Allumés, les feux des contestations régionales semblent pour le moment contenus par la SNCF. Jusqu’à quand ?â
Selon certains observateurs du monde ferroviaire, il y aurait « un précédent Paca ». Cette région a bénéficié d’un protocole d’accord signé il y a un an, en janvier 2011, entre Guillaume Pepy, le président de la SNCF, et son propre président, Michel Vauzelle, alors furieux du service TER catastrophique dans sa région. Comprenant 250 actions, ce plan, baptisé « PrioriT », a permis de renverser la vapeur. Considéré comme le mauvais élève, le TER Paca affiche de beaux progrès. « Les élus commencent à comprendre que, quand ils tapent du poing sur la table, la SNCF est capable de réagir. Elle n’invente rien d’extraordinaire, mais elle s’oblige à mettre en œuvre une nouvelle organisation avec un suivi journalier de la fiabilité », souligne un observateur. D’où sa question, qui reste pour l’heure sans réponse : « Pourquoi la SNCF n’anticipe-t-elle pas ? »
Marie-Hélène POINGT
Patrick du Fau de Lamothe, conseiller régional d’Aquitaine, délégué aux TER
« Nous sommes passés d’une relation de confiance à une relation de défiance »
« Dès juin 2011, nous avons mis en place avec la SNCF un plan de progrès comportant des indicateurs pour mesurer la performance propre de l’exploitation, indépendamment des travaux. Nous voulions sortir de la guéguerre SNCF-RFF. Des problèmes d’exploitation ont été identifiés depuis un an. Certains tiennent par exemple à l’entretien des matériels roulants. La disponibilité des trains est très insuffisante, voire inacceptable. La gestion des personnels est aussi en cause : ainsi pendant les fêtes de fin d’année, il manquait la bagatelle de 15 conducteurs ! Il y a peut-être de l’ordre de 25 à 30 % d’incidents liés aux travaux. Tout le reste est lié à des questions d’exploitation. Un autre point est essentiel : la SNCF nous a demandé de participer au fonctionnement d’un centre opérationnel de proximité en nous faisant miroiter une meilleure information des passagers et de la région. Mais nous constatons toujours une rétention des informations de la part de la SNCF. Nous avons signé en 2009 une convention pour dix ans, qui assure un forfait minimal garanti. La SNCF a une obligation de résultats. Faute de quoi nous pourrions envisager des contentieux indemnitaires. Nous sommes passés d’une relation de confiance à une relation de défiance. Nous avons fixé à la SNCF des objectifs à 15 jours, à un mois. Nous ne pouvons plus accepter que les régions de France soient ainsi maltraitées. »
Propos recueillis par M.-H. P.
Coup de froid sur les relations SNCF-régions
Au moment de la vague de froid, la SNCF a mis en place, dans une dizaine de régions, des plans hivernaux se traduisant par des dizaines de trains supprimés chaque jour. Les autres régions n’ont pas été pour autant épargnées par les défaillances d’équipements en opération, entraînant des suppressions de trains. « Pourtant, les trains sont conçus pour tenir jusque moins 25 °C. Cela arrive que des trains ou des équipements ne supportent pas le froid, mais en l’occurrence, cela a vraiment été généralisé et le délai pour en sortir a été très long : nous nous posons des questions », indique-t-on à l’ARF. Les régions ont assez mal vécu ces défaillances et pointé le manque de communication dans un contexte où les résultats de la SNCF affichaient la belle performance financière de la branche Proximités.
G. L.
En Picardie, la SNCF sur le banc des accusés
Pas moins de 457 trains en retard aux seuls mois de janvier et février, 123 trains annulés… Jean-Aimé Mougenot, le directeur régional SNCF, venu s’expliquer en février à l’issue de l’assemblée générale du conseil régional Picardie, a eu beau rappeler que la région avait enregistré 10 accidents de personne sur un mois, là où la moyenne mensuelle à l’échelle de l’Hexagone s’élève à 33, il a reconnu que ces causes exogènes n’expliquent pas tout. Parmi les problèmes identifiés, figure le difficile rodage d’une nouvelle grille mise en œuvre dans la précipitation : « Certains trains ont des horaires très attractifs et drainent plus de personnes que nous ne pouvons proposer de places », a rappelé M. Mougenot, qui a reconnu aussi d’importantes difficultés dans la maintenance du matériel – plusieurs engins sont actuellement immobilisés en attente d’échange moteurs –, une moindre optimisation des ressources matériels et globalement, une difficulté à prendre en compte la densification des dessertes : « Le nombre de voyageurs augmente fortement tous les ans et nous le gérons mal. »
D’ici au 12 mars, plusieurs rames seront remplacées par des unités plus capacitaires. Ajout d’une voiture et remplacement d’une voiture de première par une voiture de seconde sur le Corail IC 2304 Cambrai – Paris (7h47 à Compiègne) qui gagnera 120 places. Le Corail IC 2006 Boulogne – Amiens gagnera de son côté 60 places et sera systématiquement remplacé par un train au départ d’Amiens en cas de retard trop important enregistré sur le parcours entre Boulogne et Amiens. Enfin, le TER Abancourt – Beauvais verra aussi sa capacité doublée.
Jean-Aimé Mougenot a également annoncé la mise en place d’une cellule de crise et la remise à plat de l’organisation pour gagner en réactivité.
Du côté de l’assemblée, ces annonces ont été accueillies avec un certain scepticisme. Et pour cause : il y a moins d’un an, lors des assises régionales du train, la SNCF et RFF avaient aussi promis une nette amélioration de la qualité sur les lignes régionales. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader.
Philippe FLUCKIGER
10 % du parc TER hors d’usage en Auvergne
Une situation « inédite ». C’est ce que vit la direction régionale Auvergne de la SNCF, qui compte actuellement 7 trains TER « indisponibles pour longue durée ». Soit 10 % de son parc. Le matériel a été dégradé par des « éléments externes », explique-t-on côté SNCF, en particulier du fait de collisions (avec un poids lourd, des chevaux ou encore un rocher), le plus souvent liées aux conditions hivernales. La direction régionale SNCF a mis au point un « plan de transport adapté » avec 85 % du trafic ferroviaire complété par un service d’autocars. Et elle a fait appel dès le 22 février à la solidarité nationale pour se faire prêter du matériel auprès des régions Alsace, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et éventuellement Paca. Le rétablissement du service normal est prévu le 12 mars, le temps de recevoir le matériel, de procéder aux contrôles de sécurité et à la maintenance, et éventuellement de former le personnel aux matériels.
M.-H. P.
Marie-Guite Dufay, présidente du conseil régional de Franche-Comté
« La SNCF pensait que les usagers allaient massivement se reporter sur le TGV »
Ville, Rail & Transports. Vous êtes prête à suspendre vos paiements à la SNCF. Pour quelles raisons majeures ?
Marie-Guite Dufay. En Franche-Comté, la situation est particulièrement tendue. Quand on descend à 63 % de taux de satisfaction sur la ligne Besançon – Lons-le-Saunier… Dans l’esprit des gens, le TER remplaçait le TET supprimé Strasbourg – Lyon. La SNCF pensait que les usagers allaient massivement se reporter sur le TGV. Ce n’est pas le cas. Et les trains mis en service par la SNCF sont ridiculement inadaptés. Sur Belfort – Dijon, les retards de trains sont systématiques, sans compter les suppressions. Manifestement, le matériel n’est pas adapté à la météo, à la surcharge de l’offre… La SNCF constate cette catastrophe.
VR&T. Vous aviez pourtant négocié sur le nouveau service ?
M.-G. D. Il y a un très fort mécontentement, car il n’y a pas eu d’anticipation de la part de la SNCF. Pendant un an, nous avons discuté du cadencement, de la nouvelle offre de service. La région a mis en place une offre supplémentaire de desserte, avec une rallonge de six millions d’euros. À aucun moment on ne m’a dit : attention, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir faire. Nous n’aurions alors peut-être pas choisi de payer plus pour davantage de dessertes. Aujourd’hui, on me dit : nous sommes désolés, nous ne pouvons pas faire. Au bout du compte, nous avons simplement davantage de réclamations et on ne voit pas de trains supplémentaires. Depuis deux mois, nous sommes dans cette situation, alors que les travaux n’ont pas commencé. Or nous sommes dans une région où ils sont très importants cette année.
VR&T. Que réclamez-vous concrètement à la SNCF ?
M.-G. D. Pour les travaux, c’est parti, nous avons été informés. Sur le reste des dysfonctionnements, suppressions, retards, trains trop exigus, nous voulons des réponses et l’on ne peut accepter qu’il n’y ait pas d’amélioration d’ici avril. Il y a près de 40 % de dysfonctionnements, avec plus de quinze minutes de retard, sur certaines lignes, 30 % sur Belfort – Dijon. Sans compter les trains supprimés… Il faut que ce taux descende à 10 %. La semaine dernière, la SNCF a proposé un plan d’action, avec davantage de conducteurs formés aux nouveaux matériels, une adaptation des besoins pour donner des marges, la volonté d’aller chercher du matériel ailleurs. Je fais confiance, a priori. Sinon, on suspendra le paiement.
Propos recueillis par Pascal GRASSART
Négociation tendue en Ile-de-France
Le Syndicat des transports en Ile- de-France renégocie ses contrats pluriannuels avec ses principaux transporteurs, RATP et SNCF. Contrats énormes, d’un montant, jusqu’à présent, de 2 milliards d’euros par an avec la RATP et de 1,7 milliard pour la SNCF. Le Stif ne veut pas payer plus. La RATP a accepté rapidement la contrainte et le contrat devrait être signé en mars. Selon nos informations, la SNCF pour sa part a refusé la règle dite de « l’isobudget ». D’où des négociations très serrées qui, aux dernières nouvelles, semblaient, tout de même, pouvoir se dénouer.