En Provence-Alpes-Côte d’Azur, responsables de la Région et de la SNCF veulent enterrer la hache de guerre. Et croire dans un « new deal » permettant de faire repartir dans le bon sens un réseau TER particulièrement décrié ces dernières années. C’est tout le sens de l’accord pour une amélioration des services TER que vient d’adopter, ce 22 octobre, le conseil régional. Cela doit marquer, selon les termes de son président, Michel Vauzelle, « un tournant significatif ». Parallèlement, les élus se sont majoritairement prononcés en faveur d’une transaction entre la Région et la SNCF. Histoire de solder le passé récent et, d’une certaine façon, de repartir de zéro. Simplement banal, tout cela ? Pas vraiment, dans cette région marquée par des années de tensions très vives, notamment entre responsables en Paca de la SNCF et de la Région.
Au-delà des querelles personnelles, il y a surtout les chiffres. Ils montrent, incontestablement, une dégradation des circulations ferroviaires, particulièrement marquée depuis 2007. De quoi en faire le mauvais élève des trains régionaux au niveau national. Ils sont en effet bien loin, les objectifs fixés entre Région et SNCF par le contrat d’exploitation pour la période 2007-2016. « Et pourtant, la Région a consacré 3 milliards d’euros aux trains régionaux, près de 230 millions pour la seule année en cours », comme tient à le rappeler Michel Vauzelle. Or « plus de 20 % des trains ne sont pas conformes à la commande (retards à répétition…), dont 8 % de trains supprimés. »
C’est face à ces manquements répétés, en pleine période de guerre froide, que la Région Paca avait pris la décision, en février 2008, de doubler les pénalités et d’accroître la responsabilité de la SNCF au-delà du seuil de 3,5 % de trains supprimés. « Cette décision unilatérale, ce coup de semonce, ont été contestés juridiquement par la SNCF. » Depuis, chacun veut sortir de cette querelle au quotidien, de cette spirale entraînant un service en régulière dégradation. Ces derniers mois, les principaux responsables ont changé. Le directeur régional SNCF, celui de Réseau ferré de France, le vice-président chargé des Transports au conseil régional, à la suite des dernières élections. Et, s’il serait abusif d’attribuer la situation actuelle à un « simple » conflit de personnes, il n’en reste pas moins qu’entre nouveaux arrivés, on s’est vite accordés pour mettre à plat la situation afin de trouver une solution globale de « sortie de crise. »
Au premier semestre 2010, la SNCF a ainsi fait réaliser un audit interne, classé « hautement confidentiel » et que nous nous sommes procuré. Ses principaux résultats ont été présentés en mai dernier aux élus de la Région. Il y a le bilan, qui se résume en quelques chiffres, accablants : sur l’année 2009, il y a eu plus de 12 % de trains en retard de plus de cinq minutes, près de 16 000 trains ont été supprimés, soit plus de 7,2 % de l’offre en trains/km. Et sur une seule ligne du littoral, entre Marseille et Vintimille, là où l’exploitation est à la fois la plus dense et la plus fragile, le taux d’irrégularité est rarement inférieur à 20 %…
L’audit analyse, également, les dysfonctionnements et leurs causes majeures. Comme le note Michel Vauzelle, « de cette analyse ressortent des difficultés liées à l’état de nos infrastructures mais surtout aux moyens humains et matériels ainsi qu’à l’organisation mise en place par l’entreprise. »
C’est sur cette base qu’un plan baptisé PrioriT a été élaboré par la SNCF. Objectif affiché : tenter d’améliorer notablement la qualité de service. Signe de l’importance de la démarche, c’est Guillaume Pepy, président de la SNCF, qui devait le présenter en personne aux élus du conseil régional. Puis signer un protocole d’accord, longuement négocié, pour l’amélioration des services TER et, parallèlement, une transaction en règlement des litiges. En résumé, d’un côté, la SNCF prend des engagements, notamment en investissant dans les infrastructures, en affectant des cheminots pour que les trains roulent mieux, et de son côté la Région efface une partie de son ardoise.
Ce 22 octobre, Guillaume Pepy n’était pas là, bloqué par le mouvement social en cours sur les retraites. C’est d’ailleurs, selon ses propos, Michel Vauzelle lui-même qui a recommandé au président de la SNCF de ne pas s’aventurer à Marseille, ce 22 octobre, histoire de ne pas risquer d’éventuelles tensions et de ne pas brouiller le message visant à témoigner d’une « confiance retrouvée ». Le rendez-vous sur place, pour la signature, est donc remis à plus tard. Toutefois l’essentiel, c’est que le protocole d’accord et la transaction aient été approuvés par une majorité d’élus du conseil régional Paca. L’ambition du protocole, c’est donc « un redressement significatif » de l’exploitation TER d’ici à la fin 2011. Une étape dite transitoire avant un retour, espéré, aux objectifs de qualité prévus au contrat d’exploitation 2007-2011, puis un dépassement de ceux-ci. Pour Michel Vauzelle, la première illustration de cette volonté côté SNCF, c’est son engagement de « couvrir le déficit des personnels roulants, conducteurs et contrôleurs, affectés au niveau régional ». Vice-président délégué aux Transports, Jean-Yves Petit souligne que « la SNCF a reconnu ses carences et s’est remise en ordre de marche ». Des carences, comme le manque reconnu en fin d’année passée d’une soixantaine de contrôleurs pour assurer le service…
Quant au règlement des contentieux en cours, hérités du passé récent, il conjugue factures à régler pour la SNCF (pour solde de tout compte à condition qu’il y ait une amélioration notable), et nouveau système de malus. La surveillance des principaux critères à respecter sera scrutée tous les trois mois. Et un « mode de gouvernance spécifique » est mis en place afin de garantir ce suivi régulier des engagements pris par le biais d’un comité de pilotage trimestriel, avec « une large communication des résultats aux usagers. »
Derrière cet ensemble d’actions, qui se veulent les plus concrètes et immédiates possible, il y a à la clé, comme le martèle Michel Vauzelle, « un rétablissement dans la durée de la confiance entre la Région, la SNCF et, surtout, les usagers des TER. » Qui commençaient à se lasser sérieusement d’un service trop dégradé et des promesses non tenues, comme en témoigne cet autre chiffre évoqué par les élus et qui fait mentir les prévisions établies de progression de la fréquentation des trains : on misait sur 20 % de voyageurs en plus. Or le bilan est plus proche de zéro.
POUR SOLDER LE CONTENTIEUX
Négocié plusieurs mois entre la SNCF et la Région Paca, le protocole d’accord adopté par les élus régionaux et qui doit prochainement être signé contient certains points essentiels :
• Pour régler différends et contentieux relevant tant de l’ancien contrat d’exploitation (2002-2006) que du contrat actuel (2007-2016), la SNCF versera à la Région 5,5 millions d’euros. Une transaction estimée « souhaitable afin d’établir un nouvel esprit partenarial et comme gage de la confiance retrouvée. »
• Pendant une période « probatoire », du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2011, un avenant au Contrat d’exploitation 2007-2016 prévoit plusieurs dispositifs pour inciter la SNCF à redresser ses résultats. Il y a, en particulier, un mécanisme de malus industriel sur la base de trois nouveaux indicateurs, en fonction de la cause de suppression et du niveau de responsabilité de la SNCF : taux de ponctualité hors cause infrastructures, taux de km/trains supprimés toutes causes SNCF mais hors grèves interprofessionnelles, taux de km/trains supprimés pour cause de production TER. Le choix de ces nouveaux indicateurs vise à « remobiliser les équipes locales de la SNCF ». Le montant maximal du malus est de 12 millions d’euros sur la période.
• Pendant cette période transitoire, la Région suspend les effets de sa délibération de 2008, contestée par la SNCF, visant à doubler les pénalités pour km/trains supprimés lorsque ce taux dépasse le seuil des 3,5 %. Le retrait de cette délibération est envisagé, correspondant à un retour aux objectifs du Contrat d’exploitation.
• Par ailleurs, « pour compenser le préjudice subi du fait du trop grand nombre d’incidents enregistrés depuis 2007 », la SNCF va apporter une contribution exceptionnelle de 2,25 millions d’euros au financement du programme pluriannuel d’investissement.
• À plus long terme, pour inscrire ce rétablissement dans la durée et dépasser ainsi les objectifs de qualité contractuels, des actions sont esquissées qui portent sur : la conception du cadencement 2012, les moyens de maintenance, les ressources en matériels roulants, la maintenance et la correction, avec l’appui de Réseau ferré de France, des points de faiblesse chronique des infrastructures, et enfin des efforts communs de communication.
CE QUE DIT L’AUDIT
Classé « hautement confidentiel », l’audit communiqué aux élus de la Région en mai 2010, sur la qualité de la production du TER Paca, se veut un document d’étape. Outre les principaux axes de progrès et les actions à mettre en œuvre, qui ont notamment contribué à l’élaboration du plan PrioriT, il passe en revue les sources de dysfonctionnements diverses dans cette région pas tout à fait comme les autres. Un constat sans fioritures, là où « la situation de gestion de crise est devenue quasi quotidienne » et où « l’on ne sait plus ce que signifie vivre une situation normale. » État des lieux à la lecture de morceaux choisis de cet audit.
• Régularité à la traîne
Avec des résultats globaux en deçà des objectifs et inférieurs aux résultats nationaux, Paca a multiplié en 2009 les mauvaises additions. Outre la régularité à 5 minutes qui s’établit à – seulement – 87,9 %, près de 16 000 TER ont dû être supprimés. Et sur la ligne du littoral, entre Marseille et Vintimille, celle dont l’exploitation est à la fois la plus dense et la plus fragile, les taux de 80 % de régularité font l’exception.
Au cours de l’an passé, seule la régularité s’approche en novembre des objectifs fixés. Pour le reste, elle subit des variations très importantes au fil des événements, entre chute de rochers à Èze et conflit social sur la résidence Traction de Nice. Et puis, les conséquences de « la tension sur les ressources agents » ont été importantes à partir de mi-mai. Leur impact sur la régularité est ainsi estimé à 1,9 point et correspond également à 42,5 % des TER supprimés, hors périodes de grèves.
• Effet domino
En Paca, la récurrence des incidents est deux fois supérieure à la plus élevée des autres régions. C’est dû, notamment, aux causes externes : incendies, chutes de pierres, accidents de personne, détresses de matériel, dérangement d’installations… Parallèlement, la saturation du réseau fait croître l’impact d’un incident sur les autres trains. Et celle des nœuds ferroviaires – Marseille, Miramas, Nice – accentue le phénomène. Cette situation devient d’autant plus difficile à gérer qu’aucun itinéraire de détournement n’existe entre Marseille et Nice où l’on dénote également l’absence partielle d’installations de contresens.
• Les filets d’Èze.
Globalement, le vieillissement des installations entraîne mécaniquement une augmentation des dysfonctionnements. À cet état de fait se sont rajoutées des défaillances ponctuelles : attaches au niveau de la voie, isolateurs inefficaces parce que shuntés dans des conditions climatiques particulières, filets de détection de chute de pierres…
Le cas d’Èze, sur la ligne Marseille – Vintimille, est sur ce dernier point très significatif. Les seuls déclenchements, intempestifs ou non, de ces filets de détection de chutes de pierres sur cette paroi rocheuse ont entraîné l’an passé le retard de 1 300 TER. Soit 4,5 % de l’irrégularité sur cet axe et la suppression de 280 TER. Et ceci même si les filets les plus anciens ont été remplacés pour limiter les cas de déclenchements intempestifs… Globalement, les problèmes de signalisation – dont les filets d’Èze – ont affecté 2 800 TER, entraînant 2,31 % d’irrégularité. Autre secteur particulièrement touché : Marseille – Aubagne, avec 778 trains impactés et 3 points d’irrégularité.
• Caténaires et intrusions
Hors signalisation, les autres causes de retard ou suppressions liées aux infrastructures sont : les problèmes caténaires (716 TER en retard, 300 supprimés), les rails cassés (102 TER impactés), les ralentissements (580 TER impactés), les problèmes liés aux intrusions sur les emprises (1 400 TER en retard et 224 supprimés).
• Un matériel hors d’âge
Certaines séries de matériels montrent des signes de fragilité. Ce sont les locomotives BB 25500, présentant des faiblesses sur plusieurs organes clefs, tels les compresseurs. Quant à la fiabilité des portes des rames Rio, elle est insuffisante. Tout comme celle des rames réversibles Corail. Dans ce contexte, en fonction de l’activité qui lui est demandée, le Technicentre de Marseille est saturé. Et son encombrement rend complexes les manœuvres supplémentaires et la rentrée de rames à plus de deux éléments.
• Incivilités à la hausse
Vols de câbles et incendies touchant les installations, jets de pierres, tags, bris de vitres sur le matériel, agressions, vols, insultes, bagarres à bord des rames… L’impact de l’ensemble de ces incivilités représente près d’un point de l’irrégularité régionale et génère la suppression de trains ainsi que des périodes d’indisponibilité importantes liées à la remise en état du matériel. Quant au sentiment d’insécurité, il est ressenti de façon croissante par les voyageurs et les contrôleurs sur plusieurs lignes : Aix – Marseille, Cannes – Grasse, la Côte Bleue.
LES 10 PRIORITÉS DU PLAN PrioriT Ter
Pour accompagner la « dynamique d’amélioration » de la qualité de service en Paca, la SNCF vient de décliner son plan PrioriT Ter en dix thèmes majeurs. En voici les grandes lignes.
1. L’information et la prise en charge des voyageurs
Mieux informer les clients, en améliorant les outils : sonorisation, déploiement généralisé des afficheurs légers, numéro vert… Améliorer l’information et la prise en charge en situation perturbée. Cela passe, exemple parmi d’autres, par des formations à la prise de parole en gare et à bord des trains. Un plan de veille va être élaboré.
2. La gestion des aléas et le traitement des crises
Un cycle d’astreinte supplémentaire va être spécialisé dans la prise en charge et l’information des voyageurs. Des cellules locales de crise vont être déployées, fin 2010, dans les principales gares.
3. La maintenance et les travaux sur l’infrastructure
Deux catégories d’actions sont proposées à RFF et à la Région. D’une part, des actions de petite ou moyenne régénération ou des évolutions d’installations, nécessitant financement et allocation de « plages travaux ». D’autre part, des actions « de progrès » : étude détaillée des installations, schéma directeur de régénération, fiabilisation des caténaires sur Marseille – Vintimille, limitation de l’impact des coupures d’alimentation caténaires d’urgence…
4. L’exploitation
Parmi les priorités des capacités de remisage sûres et adaptées, avec notamment l’augmentation de la capacité sur Miramas ou sur le chantier des Arcs, l’adaptation et la mise en sécurisation du site d’Avignon… Ou encore des matériels roulants qui répondent aux contraintes des infrastructures et à la densification des circulations. Et cela passe par une adaptation de l’offre et de la composition des trains. Quant à la saturation de la gare de Marseille, le développement de la gare de Blancarde est évoqué. Une construction « en robustesse » de l’offre et des roulements qui intègrent les particularités locales est aussi préconisée, tout comme l’établissement « en concertation » d’une liste de « Priori’Trains ». L’ensemble sera accompagné d’un plan de mobilisation des acteurs sur chaque site : Nice, Toulon, Marseille, Avignon, Gap.
5. La maintenance du matériel roulant
Actuellement sur Marseille et Nice, la maintenance sera délocalisée sur des sites de remisage importants : Avignon en janvier 2011, Toulon et Les Arcs, Briançon. Les dépannages devront être plus réactifs. Et le système de maintenance sera renforcé sur Cannes où seront reportées des opérations réalisées sur Marseille.
6. L’accompagnement des trains
Des équipes d’intervention délocalisées seront mises en place. Une concertation visera à améliorer la robustesse des roulements. Et sera mise en place une « mise sous veille » pour maîtriser les variations et les pics de charge.
7. La conduite
Sont au programme une réactivité plus grande pour la couverture des trains, une maîtrise plus « affirmée » des effectifs de production, une « amélioration du dialogue social et un parcours professionnel motivant. »
8. La sûreté
C’est un véritable catalogue, avec la mise en sûreté des gares et le développement de la vidéo surveillance des trains, des sites de remisage, des voies… Sans oublier le traitement des colis suspects et des vols de câbles. La ligne Marseille – Aix bénéficiera de renforts estivaux à la Suge, voire de l’arrivée d’agents de sécurité…
9. La lutte contre la fraude
La volonté est de densifier les actions sur les gares et lignes où le taux de fraude est élevé. Cela passe, par exemple, par des opérations de bouclage dans les gares de Toulon et d’Avignon.
10. Les relations sociales
Les partenaires sociaux ont été associés à toutes les phases de la construction du plan. Et une concertation trimestrielle leur est proposée, ainsi que des concertations spécifiques conducteurs, contrôleurs, rames . Enfin, un dispositif de « veille renforcée » doit permettre le plus en amont possible d’identifier tout sujet potentiel de conflictualité.