Alerte ! Les industriels s’alarment des difficultés d’acheminement ferroviaire de leurs produits. Ils s’en inquiètent d’autant plus qu’ils s’attendent fin septembre à voir Fret SNCF prendre de nouvelles mesures drastiques sur son activité de wagons isolés, lourdement déficitaire. Ils redoutent que la société nationale ne cesse l’exploitation de pans entiers de trafics jugés pas assez rentables. Cette activité de wagons isolés est essentielle pour de nombreux industriels, mais aussi pour toute l’organisation du fret ferroviaire. 25 % du trafic fret viennent des petites lignes secondaires et alimentent l’ensemble du réseau. Mais cette activité n’est rentable que si elle est bien maîtrisée. Elle nécessite de rassembler les wagons qui arrivent de façon dispersée au niveau local pour massifier les flux et organiser les convois sur longues distances. Ce que la SNCF a beaucoup de mal à faire. D’où l’idée de créer des opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) pour se substituer à une SNCF à l’organisation complexe et onéreuse. Ces opérateurs, qui exploiteraient des trains sur de petites lignes aujourd’hui délaissées ou en mauvais état, seraient également chargés d’entretenir les voies. La loi sur l’organisation et la régulation des transports ferroviaires, attendue cet automne, devrait permettre à RFF de déléguer la gestion de liaisons ferroviaires secondaires à de nouveaux opérateurs, selon des modalités plus souples que celles en vigueur sur le réseau principal. Cette idée de créer des PME ferroviaires, ancrées dans le tissu économique local, est portée depuis quelques années par Jacques Chauvineau, qui fut l’un des pères de la décentralisation du transport régional de voyageurs. Mais elle peine à voir le jour tant les difficultés à surmonter sont grandes. Ville, Rail & Transports propose un passage en revue des projets les plus avancés en France.
Dans le Morvan, CFR est dans les starting-blocks
La société a déjà un nom : Compagnie ferroviaire régionale (CFR). Elle pourrait voir le jour cet automne dans le Morvan et devenir le premier opérateur ferroviaire de proximité. Trois personnes privées sont prêtes à s’associer à Lafarge et à Eiffage pour exploiter une ligne d’une quarantaine de kilomètres entre Corbigny et Cercy (Nièvre), qui dessert les carrières des deux entreprises. Comme cette ligne est en très mauvais état, des travaux ont démarré cet été pour la rénover. RFF va dépenser 5 millions d’euros dans le chantier pour une remise en état a minima. A charge pour la future CFR de prendre le relais plus tard. CFR devra aussi obtenir la qualité d’entreprise ferroviaire pour pouvoir acheminer le fret. Les deux chargeurs, Lafarge et Eiffage, qui devraient prendre 50 % du capital de la future société, devraient également s’engager sur certains niveaux de trafics et de prix. C’est cette équation qui devrait permettre à CFR de prendre en charge l’entretien des voies et la gestion des circulations. Les prévisions tablent alors sur un doublement du trafic. La ligne avant tout dédiée aux carrières de Lafarge et d’Eiffage pourrait aussi accueillir du bois si les forestiers sont convaincus de l’intérêt du service.
Midi-Pyrénées : une association de professionnels
« Nous n’avons jamais été aussi près du but », affirme André Labatut, le PDG de Veolog, qui gère une flotte d’une soixantaine de camions en Midi-Pyrénées. Celui-ci pourrait s’entendre avec un autre entrepreneur, Michel Colombié, patron d’Egenie, pour lancer un opérateur ferroviaire de proximité. Le projet pourrait associer à terme ces deux professionnels, conjuguant connaissances des métiers de transporteur et de la logistique. Avant cela, Michel Colombié souhaite expérimenter pendant un an, en grandeur nature, l’exploitation d’une ligne. Ce pourrait être la liaison Rodez – Toulouse, « qui permettrait de faire apparaître tous les problèmes potentiels », selon Michel Colombié. Au sein de sa société Egenie, il dispose d’une société baptisée Seipe (dont le nom pourrait changer) spécialisée dans la traction ferroviaire. Celle-ci pourrait commencer en janvier 2010 l’exploitation de la ligne. « J’ai obtenu l’accord de principe de RFF le 10 juillet », précise Michel Colombié. Reste maintenant à démarcher les chargeurs avec l’aide de la chambre de commerce et d’industrie d’Albi, à réfléchir à la cohabitation avec les trains de passagers et à travailler sur un protocole de formation des conducteurs. « Il faudrait qu’on ait une lisibilité à la mi-octobre », souligne Michel Colombié. Il reste donc encore beaucoup de points à régler. Sauf un : il n’est pas question pour l’opérateur ferroviaire de gérer les infrastructures dans le cadre de cette expérimentation.
L’Auvergne finalise ses études
« Tout a commencé quand des entreprises sont venues voir la CCI pour dire qu’elles subissaient une situation catastrophique avec Fret SNCF, qui doublait, triplait, voire quadruplait ses prix de transport. Je suis alors entré en contact avec Jacques Chauvineau, qui planchait sur l’idée de nouveaux opérateurs ferroviaires de proximité. Nous avons décidé de lancer une étude », raconte André Marcon, le président de la CRCI (chambre régionale de commerce et d’industrie). La première étude a évalué les volumes qui pourraient être acheminés par voie ferrée. 62 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année dans la région. Mais moins de trois millions de tonnes passent par le rail. L’étude a également porté sur l’état des infrastructures (il est très mauvais) et sur ce qui pousserait les entrepreneurs à utiliser davantage le chemin de fer. Le plan rail, adopté par l’Auvergne, qui prévoit 213 millions d’euros pour moderniser le réseau sur la période 2009-2013, permettrait d’améliorer les voies concernées par le projet. Le contrat de plan Etat-région doit aussi y contribuer pour 400 millions d’euros entre 2007 et 2013. Aujourd’hui, une seconde étude de faisabilité est en train d’être finalisée, en collaboration avec les transporteurs routiers. « Nous voulons déterminer dans quelle mesure on peut faire circuler des rames sur des lignes mixtes, car il n’y a quasiment que des lignes accueillant à la fois des voyageurs et du fret dans la région », poursuit André Marcon. Dans un premier temps, une « plateforme de rassemblement » des marchandises pourrait voir le jour à Clermont-Gravanches. Plus tard, un deuxième site pourrait être créé dans l’Allier, puis au sud de Clermont-Ferrand, peut-être vers Issoire. Le montage d’une PME pourrait être décidé cet automne, dans l’espoir d’un démarrage début 2010. Un calendrier qui se veut optimiste.
Languedoc-Roussillon : une base pour entrer dans le vif du sujet
L’association Proffer (Promotion du fret ferroviaire) Languedoc-Roussillon et le conseil régional disposent aujourd’hui d’une étude de préfaisabilité sur la création d’opérateurs de proximité. Une base qui permet désormais d’entrer dans le vif du sujet. Deux axes ont été retenus par l’étude, l’un allant du port de Sète à celui de La Nouvelle, en passant notamment par Béziers. Des lignes « conteneurisées » pourraient fonctionner à partir de Sète. L’autre axe desservirait l’est du Gard et le port fluvial de l’Ardoise, où un tissu industriel important est bien implanté. « Nous sommes en train de chiffrer les trafics, les recettes et les dépenses », précise Christian Dubois, qui anime un groupe de travail pour Proffer. Des discussions vont pouvoir démarrer pour évaluer les potentialités trafic par trafic. L’objectif serait de lancer deux appels d’offres avant la fin de l’année. « On suppose que la SNCF, via VFLI, va se mettre sur les rails. Ainsi que d’autres opérateurs », estime Christian Dubois.
Le Centre est passé à autre chose
La région Centre faisait un peu figure de pionnière quand elle a lancé en 2007 l’association Proffer Centre, réunissant des chargeurs et des partenaires financiers, notamment la Caisse des dépôts. Elle espérait la naissance de Proxirail, premier opérateur ferroviaire de proximité de France, pour 2008. Mais le résultat n’a pas été à la hauteur des espérances. D’après plusieurs observateurs, le fait que des chargeurs, les céréaliers, se soient approprié le projet pour bâtir une solution à leur mesure a empêché la création d’un « vrai » OFP. Du coup, le projet s’est transformé en un simple accord commercial entre les céréaliers et la SNCF. D’où cet enseignement pour certains professionnels qui voudraient créer des OFP : « il ne faut pas que les chargeurs soient dans le capital d’un OFP ».
Les ports du Havre et de Rouen à la recherche du modèle économique
Les ports abordent la question dans un contexte nouveau. La loi leur a donné de nouvelles compétences, leur confiant récemment la gestion du réseau ferroviaire portuaire. Ils ont aujourd’hui la responsabilité de garantir un accès égal à leur réseau à toutes les entreprises ferroviaires. Second fait marquant, la réforme portuaire adoptée l’année dernière a imposé le transfert des personnels assurant le fonctionnement des portiques aux entreprises de manutention privées. « Dans le même temps, elle a donné aux ports une responsabilité plus importante pour développer les modes massifiés. Ces deux évolutions, auxquelles s’ajoute le fait que Fret SNCF va mal, légitiment l’intérêt des ports à prendre en charge cette question des acheminements ferroviaires », explique Christian Feuvre, l’adjoint au directeur du développement du port du Havre, chargé du développement des transports multimodaux. Les chambres de commerce du Havre et de Rouen ont lancé une réflexion sur le sujet avec les chargeurs. « Il faut faire émerger un modèle différent de Fret SNCF. Il y a une prise de conscience très forte dans les milieux économiques », estime Christian Feuvre, qui est aussi conseiller ferroviaire au port de Rouen. A la demande des deux ports, il est chargé de plancher sur une offre ferroviaire locale pertinente et de proposer la bonne « équation économique ». Sa réflexion porte non seulement sur la question de la massification des trafics sur le domaine portuaire, mais aussi sur l’organisation des connexions avec les opérateurs ferroviaires longue distance. « Les OFP ne doivent pas être des sous-traitants du réseau principal. Jusqu’à présent, la SNCF voulait maîtriser les OFP. Aujourd’hui, son discours est plus ouvert. C’est une condition pour que les milieux économiques se disent : on y va », explique Christian Feuvre. Rendez-vous à l’automne pour connaître les solutions envisagées.
La Rochelle s’allie à la SNCF
Les discussions ont démarré dès la fin 2007 entre le port de La Rochelle et la SNCF pour améliorer la desserte ferroviaire de la plateforme. Toutes deux sont aujourd’hui décidées à créer un opérateur ferroviaire de proximité. Celui-ci serait chargé de desservir le port, de gérer les circulations sur le réseau ferré portuaire et d’améliorer l’accessibilité de l’hinterland. Une première étude a été menée par un consultant extérieur, qui a jugé l’idée pertinente. Reste encore à déterminer les contours exacts de cet OFP, avec l’objectif de démarrer le service l’année prochaine. Sur 8 millions de tonnes traitées annuellement par le port de La Rochelle, 800 000 passent par le fer. « L’OFP s’adossera aux marchés traditionnels et porteurs du port : les céréales, les produits pétroliers, les produits forestiers et papetiers et les trafics de granulats, qui seront accueillis sur le futur terminal Anse-Saint-Marc », précise Jérôme Ebrardt, le responsable du pôle développement à la direction Fret SNCF Atlantique. Pour gagner des parts de marché face à la route, le nouvel opérateur ferroviaire devrait faire des efforts sur ses tarifs, grâce à la polyvalence demandée à ses personnels et à une meilleure utilisation de ses moyens, à commencer par les engins moteurs.
Marie-Hélène POINGT