Tribune de Gilles Savary, ancien député national et européen, rapporteur de la loi ferroviaire de 2014, consultant.
La réforme de la SNCF votée par le Parlement est incontestablement la plus aboutie de toutes celles qui l’ont précédée.
Non pas que les précédents gouvernements soient restés immobiles, ni la direction de la SNCF, comme on l’entend dire. L’entreprise a incontestablement évolué, par la force des choses ou de stratégies adaptatives, mais sous la hantise d’un rapport de force syndical conservateur si ce n’est « propriétaire », et sans toucher à l’essentiel d’accommodements politiques de l’après-guerre.
Depuis la directive européenne 91/440, premier acte d’un projet de création d’une Europe du rail capable d’affronter celles de la route et de l’aérien, toutes les grandes nations ferroviaires d’Europe ont entrepris de moderniser leurs chemins de fer avec des résultats qui déclassent peu à peu notre prestigieuse SNCF dans les benchmarks de ponctualité, de qualité de service, de fiabilité, et même de sécurité, sans parler de sa situation financière.
Ce faisant, elles ont, tant bien que mal, anticipé les bouleversements qui ont affecté les besoins et les comportements de mobilité avec l’avènement du numérique, que l’on peut résumer par une prise de pouvoir de l’usager et du marché, sans ménagement pour les illusions monopolistiques des compagnies historiques.
Faute de cela, la SNCF s’est employée à contourner ses propres handicaps en se modernisant empiriquement ; en intégrant des offres de mobilité alternatives au rail, et en créant des filiales de droit privé sur les marchés européens ou domestiques en matière de voyageurs (Keolis), de fret (VFLI) ou même de travaux sur voies (Sferis), avec des résultats édifiants pour ceux qui doutent encore de l’intérêt d’une réforme de la maison mère.
En France, les gouvernements successifs, tétanisés par la menace syndicale latente, ont adopté un robuste et interminable double jeu qui a consisté à voter à Bruxelles toutes les étapes de la construction de l’Europe du rail, et à y résister à Paris par les artifices les plus insoupçonnables, à commencer par « l’erreur d’aiguillage » de la réforme Pons de 1997 créant Réseau ferré de France. En séparant juridiquement le réseau de la SNCF, la France se posait en meilleur élève de la classe européenne, alors qu’il s’agissait d’un trompe-l’oeil consistant à cantonner la dette ferroviaire dans un RFF coquille vide, et à conserver au sein de la compagnie d’exploitation SNCF l’ensemble des prérogatives d’infrastructures.