Fidèle à son personnage, Loïk Le Floch-Prigent dit sans prendre de gants le mal qu’il pense de la dernière réforme ferroviaire. Pour l’ancien (et éphémère) président de la SNCF, le gouvernement a eu le tort de présenter à l’opinion publique les cheminots comme des nantis. Et de voir dans la concurrence le remède à tous les maux du ferroviaire. Les anciens présidents considèrent la plupart du temps qu’ils ont un devoir de réserve. Loïk Le Floch-Prigent juge, lui, qu’il est de son devoir de tirer le signal d’alarme…
La Vie du Rail. Vous connaissez très bien la SNCF dont vous avez été le président, de décembre 1995 à juillet 1996. Que pensez-vous de la nouvelle réforme ferroviaire ?
Loïk Le Floch-Prigent. Toute société, toute institution a besoin d’être réformée pour être au niveau des évolutions de la société et de la technique. Le fait de dire : « Je réforme » n’est pas répréhensible, bien au contraire.
Simplement, j’ai été surpris de voir que les financiers ont tenu le haut du pavé. Plutôt que de commencer par regarder l’évolution d’un corps social, on a dit deux choses.
On a dit, d’une part, les salariés de l’entreprise ont des tas d’avantages. On a transformé ce corps social en nantis, ce qui est surprenant. On a dit, d’autre part, la concurrence va arriver, c’est salvateur, c’est bénéfique, et il faut se mettre en situation d’être concurrentiel.
Ce discours a été propagé à la fois par les politiques dans leur ensemble et par la presse dans son ensemble. Or, ce n’est pas mon point de vue.
Les financiers ayant pris le pas, on a fait une sorte de marché : la reprise de la dette contre la suppression des avantages des salariés. Il en résulte une réforme qui maltraite psychologiquement les salariés, ce qui ne conduit pas à augmenter leur ardeur au travail. La méthode n’est pas bonne et je l’ai dit au cours des mois de l’élaboration de la réforme. J’ai eu la surprise d’être plus entendu dans les pays européens que dans mon propre pays.
LVDR. Qu’est-ce qui vous gêne dans l’argumentation sur les avantages ?
L. L. F.-P. On s’en est pris particulièrement à un régime de retraite satisfaisant. Il est vrai que, quand je suis arrivé à la SNCF, j’ai été surpris de voir une forte présence des retraités. C’est original d’avoir une sorte d’amicale des retraités qui soit à peu près au niveau des organisations syndicales. Cela dit, le régime de retraite des cheminots, c’est un salaire différé. Vous n’êtes pas très payés, mais vous serez convenablement pensionnés. Si on change cela, cela conduira d’une manière ou d’une autre à augmenter les salaires et à augmenter les charges. C’est arithmétique. C’est une négociation compliquée, à prendre avec des pincettes, dans laquelle il ne faut pas être trop financier. Il vaut mieux être plus social.
LVDR. L’argument de la concurrence ne vous convainc pas non plus ?
L. L. F.-P. La concurrence, c’est une idée satisfaisante pour l’intellectuel bruxellois. En fait, elle n’existe pas. À partir du moment où on a un réseau unique, on ne peut pas considérer que sur un trajet déterminé il existe une concurrence. Il y a un réseau, une signalisation, et des sillons qui sont décidés par quelqu’un.