Dès que l’on évoque l’arrivée de la concurrence dans le paysage ferroviaire, la conversation dévie rapidement sur la situation des chemins de fer britanniques « privatisés ». Mais de quelle situation parle-t-on ? De celle qui prévalait il y a vingt ans ou de celle actuelle ? Car si tout n’est pas parfait outre-Manche, d’indéniables améliorations ont été apportées depuis vingt ans. En commençant par le réseau ferré.
Cela fait maintenant plus de vingt ans que le réseau ferré britannique a été privatisé et que l’exploitation des trains est passée de British Rail à des entreprises « privées », tant pour le fret que pour le transport de voyageurs (en délégation de service public dans le cadre de franchises ou en Open access).
Côté voyageurs, la fréquentation des trains a connu un spectaculaire redressement, passant de 700 millions de voyages en 1995 à 1,7 milliard par an actuellement, soit plus que pendant les années records d’après guerre. La situation est plus contrastée pour les marchandises, passées de 13 milliards de t-km à presque 23 milliards de t-km annuels entre 1995 et 2014, avant de retomber à 17 milliards de t-km actuellement : la fin des charbonnages et la reconversion des centrales thermiques aux combustibles « verts » vont obliger le fret ferroviaire britannique à se réinventer…
Toujours est-il que le réseau est de plus en plus sollicité et que la saturation guette autour des principaux noeuds ferroviaires. Renationalisé depuis les accidents de 1999-2000, ce réseau bénéficie aujourd’hui de moyens importants, soit 6,6 milliards de livres (de l’ordre de 7,5 milliards d’euros, soit quatre fois de plus par km de ligne qu’en France) par an, dont une petite moitié provient des redevances payées par les exploitants de trains et une grosse moitié du contribuable. Cette contribution publique reste indispensable pour développer le réseau ferré au-delà de sa simple maintenance courante, par des électrifications, le renouvellement de la signalisation, le déploiement de la commande centralisée (12 postes au niveau national) ou la création de voies ou de lignes nouvelles pour désaturer le réseau. En attendant la réalisation des projets en cours, le gestionnaire d’infrastructures Network Rail offre à ses voyageurs un niveau de sécurité enviable, aucune victime n’ayant été déplorée sur son réseau depuis plus de 10 ans – ne sont pas ici comptés les sept morts du déraillement d’un tramway en survitesse à Croydon, en novembre 2016, qui s’il est techniquement un accident ferroviaire n’a pas eu lieu sur le réseau ferré national. Ce niveau de sécurité sans précédent est en contraste total avec la réputation du réseau ferré britannique au début de la décennie précédente. Le film The Navigators de Ken Loach (2001) a popularisé à travers le monde une image peu flatteuse du réseau privatisé, au sein duquel les responsabilités étaient désormais éclatées entre plusieurs entreprises, au premier rang desquelles figurait Railtrack, gestionnaire d’infrastructure à but lucratif.
La privatisation était-elle coupable des deux grandes collisions qu’a connues le réseau ferré britannique à la fin des années 1990 (Southall en 1997, Ladbroke Grove en 1999) et d’une série de déraillements au début de la décennie suivante (Hatfield en 2000, Potters Bar en 2002) ? Pour ses adversaires, oui. Et objectivement, la multiplication des acteurs n’a certainement pas simplifié la gestion du réseau ferré britannique à la fin des années 1990. Mais avec du recul, ce genre de catastrophes n’était pas nouveau sur les rails d’outre- Manche, l’une des plus terribles étant la collision entre trois trains à Clapham Junction en 1988 (35 morts, 484 blessés). Si l’erreur humaine n’est jamais à exclure, la vétusté, l’inadaptation et la saturation du réseau ferré – en particulier autour de Londres – ont à chaque fois été mises en évidence. Pour autant, nombre d’accidents sont survenus après une intervention récente sur la voie, parmi lesquels « l’accident de trop » qui allait entraîner