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© Christophe RECOURA/LVDR

Un Corail pour Nantes à Couzon au Mont d’Or.

Il était une fois dans La Vie du Rail 138) Comment sauver les transversales

12 novembre 2021
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Cette rubrique est animée par vous et pour vous. Elle vous permet de revisiter l’histoire cheminote. Celle d’il y a 10, 20, 30, 40 ans… Profitez de nos archives en nous signalant ce que vous souhaitez relire et redécouvrir. Une plongée dans l’aventure du rail.

Faites-nous savoir vos envies dès à présent en nous écrivant au 29, rue de Clichy, 75009 Paris ou par mail à : margaux.maynard@laviedurail.com

 

138) Comment sauver les transversales (cet article est tiré de nos archives, il date d’il y a 18 ans)

Déficits et charges d’exploitation alarmants, les lignes transversales sont sur la sellette. Relancer les unes? Abandonner les autres? Les questions se posent au cas par cas pour ces chemins de fer de traverses qui irriguent la France rurale. Et la polémique va bon train pour savoir qui doit payer entre la SNCF, l’Etat et les régions traversées. Exemple-type de ces lignes vertes qui sont dans le rouge, Bordeaux-Lyon.

« Extrêmement déficitaires ». C’est ainsi que la direction Grandes lignes de la SNCF qualifie douze relations Corail. Six de jour et six de nuit. Chiffres à l’appui : pour elles, la somme des déficits atteint 110 millions d’euros. Et les charges d’exploitation y représentent entre 140 % et 250 % du chiffre d’affaires. Si le cas des trains de nuit fait l’objet de réflexions internes, liaison par liaison, l’entreprise souhaite engager un large débat sur l’avenir des six lignes Corail de jour concernées : Nantes – Bordeaux, Toulouse – Bordeaux – Hendaye, Nantes – Lyon, Lille – Strasbourg, Caen – Tours, Bordeaux – Lyon. Sept questions-clés pour comprendre.


Corail, des comptes aussi mauvais que le fret

« L’activité Corail » perd 216 millions d’euros par an. Pour un chiffre d’affaires estimé de 950 millions. C’est, en proportion, encore plus que le fret où les pertes étaient l’an passé de 387 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires proche des 1,956 milliard. Autres motifs d’inquiétude, pour les Corail : plus de nouveaux TGV sont mis en service, plus leurs pertes augmentent. Et puis le périmètre se réduit où on peut « les tirer vers le haut ». Ainsi les liaisons vers l’Est de la France, bien achalandées, vont faire place au TGV Est.

Globalement, Grandes Lignes tournait l’an passé autour de 22 millions d’euros de résultat net.

Si une douzaine de lignes très déficitaires « plombent » les comptes de Corail, trente-trois de ces relations sont équilibrées ou dégagent un résultat légèrement positif. Pour la SNCF, « elles correspondent à un véritable marché de la grande distance ». Dix-sept autres ont des résultats légèrement négatifs.

Parmi les premières sources d’économies retenues : la suppression pour la fin de l’année des Corail Paris – Brest et Paris – Quimper, mis « en doublement des TGV ». Leur bilan est taxé de « catastrophique, immobilisant des rames, mobilisant des moyens importants pour quelques voyageurs qui ne s’y retrouvaient plus », selon les responsables Grandes Lignes.


Quel diagnostic ?

Impossible d’obtenir de la part de la SNCF des chiffres précis de fréquentation, ligne par ligne, relation par relation. Le diagnostic est établi de façon globale : le marché ferroviaire « très » longue distance n’existe pas, ou plus, hors des lignes à grande vitesse. « Comme le marché historique s’est très largement contracté, notre offre n’est plus pertinente », estime Patrick Michelin, directeur adjoint Grandes lignes SNCF.

Au fil des ans, les transversales auraient assuré, de plus en plus, un rôle de liaisons régionales, voire « interrégionales », plutôt que leur mission Grandes lignes originelle. Certains chiffres en témoignent : ces relations ne sont empruntées de bout en bout que par une minorité de voyageurs, moins de 10 % dans la plupart des cas, voire 5 % pour Nantes – Lyon, Lille – Strasbourg, et même 2 % pour Caen – Tours. Les trains accueillent plutôt une succession de clients qui ne font en moyenne, que 10 % du voyage. Pour Patrick Michelin, c’est clair : « C’est un ensemble de liaisons techniquement, historiquement, rassemblées dans un train. Or, on ne sait pas faire vivre les trains Grandes lignes sans un volume de trafic à longue distance ». Sur de larges parties des parcours, le nombre de voyageurs reste, pour un train complet, bien en dessous de la centaine…

Des affirmations relativisées par les spécialistes régionaux. Certains estiment que la SNCF minore l’intérêt national de ces longues distances. Et précisent, par exemple, que l’on ne peut voyager de Clermont-Ferrand à Nantes, de Bourges à Lyon par TGV… Quelles causes à ce déclin ?

Essentiellement deux. Le développement du TGV, qui rend les liaisons directes entre Nantes et Lyon, voire Bordeaux et Lyon, plus attractives par le TGV via Paris, devenu pour la SNCF la « relation naturelle », que par le Corail. C’est, aussi, et surtout, l’accroissement du réseau autoroutier, bénéficiant de très fortes aides publiques, qui a entraîné une perte des parts de marché du fer sur de nombreuses relations transversales.


Paris – Brest, Paris – Quimper : Corail vides, TGV pleins

Selon la direction de la SNCF, ils coûtent « très cher », en particulier en termes d’immobilisation de matériel, pour quelques voyageurs : ce sont les trains Corail mis en doublement de liaisons assurées par TGV, entre Paris, Brest et Quimper. « Les clients ne s’y retrouvent pas et le bilan est catastrophique », selon la direction Grandes lignes. A la fin de l’année, les Corail Paris – Brest et Paris – Quimper devraient être supprimés. Lors du tout nouveau service d’été, ce sont les derniers trains de nuit entre Paris et la pointe de la Bretagne qui ont été supprimés.


Comment faire vivre ces lignes ?

« Comme elles sont utilisées essentiellement pour des dessertes interrégionales, nous avons songé à trouver en face des autorités organisatrices potentielles qui se sentent concernées », résume encore Patrick Michelin. D’où, depuis quelques mois, une multiplication des démarches des responsables SNCF à la rencontre des conseils régionaux, des élus. Pour leur dire : voilà la difficulté pour ces lignes qui ne correspondent pas aux critères d’une économie de marché, voilà les pertes estimées par la SNCF. Et pour amorcer le débat, il donne un aperçu, dans le désordre, de la grille des questions autour desquelles s’amorcent les discussions avec les collectivités territoriales : Quel est l’intérêt de la liaison ? Correspond-elle à un service qui vaut quelque chose en termes de marché ? Répond-elle à l’attente, à un besoin de vos électeurs ? Que peut-on faire ensemble ? Qui doit devenir demain le maître d’ouvrage de la desserte ?

Pour les responsables de la SNCF, la plus grande prudence est de rigueur. « Nous voulons faire preuve, lors de ces discussions, de la plus large ouverture d’esprit, proposer la recherche d’une solution sans en définir le contenu. Il ne s’agit pas de préconiser un simple transfert de charges. Mais de trouver une famille, logique et naturelle, pour ces liaisons. »

En résumé, il ne doit pas y avoir de solution globale mais, pour chaque ligne, une solution spécifique, concrète. Le sujet est : comment faire vivre ces liaisons ? Avec une ligne directrice : « Il ne s’agit pas à priori de les supprimer mais d’en reconsidérer les missions – déplacements locaux, de proximité, réponse à une demande locale précise… – avec les collectivités locales. Afin de partir des besoins réels de déplacements, et donc de permettre l’exploitation dans des conditions économiques. équilibrées ». Bref une « volonté de transparence, de concertation ».

Avec un certain scepticisme, des responsables Transports de conseils régionaux rappellent que cette démarche fait songer aux discussions sur les EIR, liaisons semi-directes du type Nancy – Belfort ou desserte Caen – Rennes, au début des années 90. Des liaisons reprises progressivement par les régions et finalement intégrées aux TER, et compensées par l’Etat dans le cadre des conventions régionales.

L’arrivée du Caen - Tours, à Alençon. © Christophe RECOURA/LVDR

L’arrivée du Caen – Tours, à Alençon. © Christophe RECOURA/LVDR

 

Quel calendrier pour les discussions ?

La phase de diagnostic se poursuivra pendant l’été. Ensuite, doivent être discutées les solutions à apporter pour une « exploitation de ces lignes dans des conditions équilibrées ». Pour cela, le « souhait » est de constituer des groupes de travail réunissant la SNCF et les régions concernées d’ici à l’hiver. Sur le fond, la SNCF se dit prête à « envisager toute une palette de solutions pour garantir la poursuite de ces relations sous des modalités nouvelles » : conventionnement avec plusieurs régions avec reprise de la relation par des activités TER, partage de certaines relations entre une partie Corail, correspondant à la longue distance, et une partie TER, correspondant au déplacement local. Voire le réaménagement de certaines dessertes, « pour en rendre le poids financier plus supportable ».

Précision par avance apportée par la SNCF : « cette remise à plat doit naturellement s’accompagner d’un important effort de la SNCF pour maîtriser les coûts d’exploitation du Corail ».

Déjà, certains bémols sont apportés par les spécialistes Transports de régions, en amorce de discussion : « La SNCF a laissé se détériorer les situations de ces lignes pour forcer le trait. Et aurait dû faire le ménage chez elle, exploiter mieux ces lignes avant de renvoyer la balle. Pourquoi faudrait-il que les régions paient avant que la SNCF s’améliore ? » Mis en cause, en particulier, le coût d’exploitation au quotidien. « On confond pertinence du système SNCF et pertinence du système ferroviaire. »

De même, le calendrier envisagé est contesté : « On parle de changements de dessertes à l’horizon 2005. Or, comment un exécutif régional peut-il s’engager sur un sujet lourd alors que de nouvelles équipes régionales arriveront en mars 2004 ? C’est trop tôt ou trop tard. Et cela peut amener une démarche contre-productive ».


Le ministère prêt a entrer dans le débat

« Historiquement, la SNCF compensait les déficits de lignes par les marges dégagées par les meilleurs Corail, par les TGV. Or les TGV dégagent de moins en moins de marge. Tout ça coûte très cher à la collectivité. » Ce constat, c’est celui du ministère des Transports, où une source proche du dossier précise : « Il faut rendre des arbitrages approfondis. Aujourd’hui, le fardeau est sur la seule SNCF. Ce n’est pas très correct. Comme ces lignes ont une vocation très forte de desserte régionale, il est logique d’en discuter avec les régions. C’est aussi une question de desserte et d’aménagement du territoire. Faut-il mettre en place une compensation ? »

Autre élément fort : « Il y a sans doute des économies à trouver, des optimisations à effectuer. Il est indispensable de discuter pour que, collectivement, cela nous coûte moins cher. Trouver une solution, entre des acteurs qui partagent les coûts. On sait le faire lorsque l’on décortique à fond une desserte, ligne par ligne, train par train. » A cet égard, le « travail de fond » effectué sur Bordeaux – Lyon est qualifié d’exemple à suivre. Et à approfondir. « Des efforts ont déjà été faits sur cette ligne. Et ce qui reste à trouver n’est pas le plus simple. » Quant au matériel : « Que peut-on faire à un coût raisonnable pour le renouveler ? Les grandes déclarations de principe ne servent à rien. Il faut, sur le fond, ensemble, trouver le compromis le plus intelligent »


Quel transfert de charges ?

La nouvelle politique de la SNCF se résumerait-elle à un transfert de charges déguisé vers les collectivités locales ? La SNCF s’en défend et évoque la nécessité d’une « concertation sur la meilleure offre de transport au meilleur coût, pour les collectivités locales tout comme pour la SNCF ». Trois arguments essentiels sont invoqués pour justifier la prise en charge d’une partie des coûts. D’une part, les lignes correspondent à des déplacements locaux, pour lesquels les collectivités ont « un intérêt, des besoins à formuler, une compétence et une responsabilité à exercer ». De l’autre, « une contribution publique est nécessaire, comme pour tous les transports de proximité ». Enfin, la réglementation communautaire est évoquée. « Qui précise que des obligations contraires aux intérêts commerciaux des entreprises de transport ne peuvent leur être imposées qu’en vertu de contrats passés avec des autorités organisatrices de transport. »

Du côté des régions, beaucoup évoquent toutefois un transfert de charges déguisé. Elles relèvent que les conseils régionaux ont déjà beaucoup à faire avec les TER : « Pour cela, c’est clair, elles ont reçu de l’argent de l’Etat. Mais elles ne peuvent absorber une ligne parce que la SNCF ne sait plus l’exploiter ».

Surtout, les régions soulignent que le service dépasse le cadre d’une région. Le sentiment général : « L’Etat doit être acteur à part entière dans le débat et pas simplement observateur. Il a vraiment un rôle de tutelle de la SNCF et d’autorité organisatrice des transports ».


Les « autres » politiques Corail

  • Téoz pour relancer le client

Téoz, qui va être lancé le 1er septembre entre Paris et Clermont-Ferrand, puis sur Paris – Strasbourg en 2004, est destiné à donner une meilleure perception des Corail et à relancer le volume, là où il est possible de conquérir de nouvelles parts de marché. En résumé, là où l’offre est pertinente et où une action commerciale peut conduire à améliorer les résultats de l’entreprise.

  • Des rames-blocs pour faire des économies

Une progression de la productivité est recherchée sur les dessertes existantes, où il s’agit de « produire moins cher ». Il s’agit de jouer sur les dessertes et sur le volume de matériel disponible. La politique dite de « rames-blocs », avec des trains dont la composition ne varie pas, doit permettre au Matériel de faire des économies.


Pourquoi en discuter aujourd’hui ?

« Confronté à l’impact des péages, en forte augmentation sur les TGV, qui font une vraie ponction sur les résultats de l’activité Grandes lignes, nous n’avons plus la marge de manoeuvre pour compenser les pertes des liaisons très déficitaires », souligne Patrick Michelin. Ou alors, cela porte atteinte à la capacité de réalisation des investissements pour le TGV comme, récemment, pour Corail Téoz, avec quelque 135 millions d’euros consacrés à la promotion des lignes à l’avenir le plus prometteur. Bref, « les péages en plus, cela hypothèque notre capacité à préparer l’avenir. » Et puis, les prochaines élections régionales auront lieu en mars 2004. Et la SNCF ne veut pas attendre cette échéance, l’arrivée, puis l’installation de nouvelles équipes, pour « entamer des discussions concrètes afin de savoir ce que l’on fait sur ces lignes, ce que l’on fait de ces trains ». D’autant que des questions de renouvellement de matériel, comme sur Bordeaux – Lyon, peuvent se poser d’urgence. Et remettre un peu plus en cause l‘économie de ces liaisons. L’objectif est fixé par la SNCF dans son Projet Industriel : retrouver l’équilibre d’exploitation de « l’activité Corail » d’ici à 2005. Afin, précise le texte : « d’assurer la poursuite de cette activité et d’être en situation de renouveler progressivement le matériel dans quelques années ».


Trains de nuit, gare à la concurrence

Un travail a été accompli pour améliorer les liaisons ayant un certain potentiel grâce aux « mises en qualité » du Service nuit. Mais d’autres relations ont un horizon nettement plus bouché. Six sont en particulier qualifiées « d’extrêmement déficitaires ».

  • Paris – Strasbourg : la liaison nocturne s’arrêtera, au plus tard, lors de la mise en place du TGV Est.
  • Les dessertes Paris – Massif central vers Aurillac et Millau ou vers Carmaux et Rodez : des liaisons victimes, entre autres, d’offres de jour devenues de plus en plus compétitives.
  • Bordeaux – Lyon : depuis ce service d’été, Bordeaux – Lyon est jumelé avec Nantes – Lyon. La jonction des deux trains se fait à Vierzon. Et le train est mis en qualité. « Une sortie par le haut ».
  • Nantes – Nice.
  • Quimper – Toulouse. On s’orienterait vers la disparition des liaisons nocturnes vers Aurillac – Millau (quelques chiffres de fréquentation sont avancés : une moyenne de 70 personnes la nuit sur la branche Aurillac – Millau, une trentaine à destination d’Agen…) et Quimper – Toulouse.

Parallèlement, même sur certaines liaisons « phares » et mises en qualité, une concurrence nouvelle, en particulier des low-costs, se fait nettement sentir. Exemple type : le « Train Bleu » Paris – Nice a subi 15 % de baisse de son trafic depuis le début de l’année. Une pareille érosion de la clientèle est constatée à destination de Perpignan sur le Paris – Port-Bou.


Aménagement du territoire ou service public ?

Pour la SNCF, c’est assurément un sujet d’aménagement du territoire. mais Patrick Michelin précise : « A priori, la SNCF n’est pas payée en Grandes lignes pour faire de l’aménagement du territoire. Si on lui demande de le faire, il faut trouver un contrat. Ce peut être avec l’Etat, avec des régions, des collectivités ». Et comme la santé financière des six transversales en difficulté ne devrait pas, naturellement, s’améliorer – parce que là où il y a peu de monde, il y en aura de moins en moins – Patrick Michelin conclut : « Si l’on ne fait rien, le trou financier ne peut que se creuser… »

Pascal GRASSART


Reportage. La transversale de bout en bout

Cet hiver encore, Thierry Clausse et Jean-Yves Léger se passaient les commandes de leur vieille RTG ronflante à Limoges. Mais pour combien de temps ? Notre reporter leur a fait un bout de conduite sur cette ligne qui met 7 heures 32, pour traverser sept départements et quatre régions de France. Ils racontent « leur » transversale.

10 h 45, quai n° 11, gare de Bordeaux, au-delà de la grande verrière : s’il n’y avait que le son, on se croirait sur le tarmac d’un aéroport. Les annonces régulières de Simone, « la voix » de la SNCF, sont presque inaudibles, couvertes par le fameux bruit du vieux Turbotrain d’ANF prêt à se lancer dans sa traversée quotidienne d’un grand bout de carte de France. Il mettra 7 h 32 minutes à rejoindre Lyon.

Thierry Clausse, dans la cabine de la RTG : « En été, le bruit est infernal ». © Christophe RECOURA/LVDR

Thierry Clausse, dans la cabine de la RTG : « En été, le bruit est infernal ». © Christophe RECOURA/LVDR

 

La « turbine ». Une belle mécanique, mais sa gourmandise l’a perdu dès le premier choc pétrolier en 1973. Sa livrée, orange délavé sur fond gris, piquée de rouille, rappelle les années d’avant le TGV. Depuis des lustres, il attend son départ à la retraite de la transversale Bordeaux – Lyon, sa dernière liaison. Sur le quai, l’effervescence monte d’un cran. Un militant de SUD-rail distribue des tracts : « Amiante = empoisonnement. La SNCF persiste et signe ». L’action n’est pas du goût de Thierry Clausse, premier conducteur du RTG ce mardi de janvier. Et il est allé le dire au distributeur. A 10 h 50, c’est donc un agent de conduite plutôt remonté qui s’installe aux commandes : « C’est vrai que l’amiante est un problème grave pour tous les gens en contact régulier avec le produit. Mais aller dire aux voyageurs qu’ils peuvent être contaminés par le simple fait de prendre le train, je ne suis pas d’accord. C’est aussi notre outil de travail. Les gens, ils conservent le tract et dans dix ans ils porteront plainte ». Le problème est épineux et deux voitures de la rame sont fermées. La commission Amiante effectue des contrôles sur la présence réelle ou non des poussières nocives. Bordeaux est déjà loin. Les vignes défilent à plus de 150 km/ heure. Thierry a retrouvé son calme et son sourire. La turbine ronfle comme un hélico. « Ce n’est pas désagréable. Mais l’été, quand il faut ouvrir les vitres, le bruit devient infernal », explique-t- il. Par le passé, il fut question d’installer une climatisation en cabine, mais comme ce matériel doit normalement partir à la casse…

Thierry conduira jusqu’à Limoges. Un trajet de 2 h 50.

11 h 46, c’est déjà la gare de Mussidan. En face, voici l’autre RTG.

En moins d’une demi-heure, Périgueux est atteint, toujours pied au plancher. Dans la gare du Périgord, trois minutes d’arrêt : le temps pour le conducteur de « changer de bout ». Opération qu’il faudra répéter à Limoges, Saint-Sulpice-Laurière, Gannat puis Saint-Germain- des-Fossés.

A Saint-Germain-des-Fossés, les conducteurs « changent de bout ». Jean-Yves Léger prend les commandes. © Christophe RECOURA/LVDR

A Saint-Germain-des-Fossés, les conducteurs « changent de bout ». Jean-Yves Léger prend les commandes. © Christophe RECOURA/LVDR

 

Le clocher de la cathédrale Saint-Front et les toits de tuiles du chef-lieu de la Dordogne sont loin. La voie devient unique, le relief fait des bosses. « Je commence vraiment à vivre entre Périgueux et Limoges », plaisante Thierry, arrivé de l’Est pour devenir « arpette » aux ateliers de Périgueux, il y a vingt ans. Depuis, il n’a plus quitté la région, ses magnifiques paysages et sa douceur de vivre. A mesure que le trajet devient champêtre, la vitesse est descendue en dessous des 100 km/ heure. Du coup, les décibels aussi. En gare de Thiviers, dernière étape en Aquitaine avant d’entrer en Limousin, trois personnes âgées s’installent à bord. L’avenir de « sa » transversale, qui ne dessert pas moins de neuf départements, préoccupe Thierry. « Elle a du plomb dans l’aile. On a entendu dire que le train de nuit allait remonter jusqu’à Vierzon avant de rejoindre Lyon à partir de cet été. Comment vont faire tous ces gens qui habitent au milieu ? ». Un petit coup de trompe en passant devant la maison d’un copain et voilà la gare de Nexon. Fin d’un premier tronçon à voie unique.

Une demi-douzaine de voyageurs monte. Le train est encore le moyen le plus court pour rejoindre le centre de Limoges pour beaucoup de personnes âgées.

13 h 11. Arrivée dans la capitale du Limousin. Reconstruite après l’incendie de 1999, la majestueuse coupole a retrouvé son faste. Nouveau « changement de bout » mais Thierry Clausse ne remonte pas en cabine. Il passe le relais à un Limougeaud, Jean-Yves Léger, qui mènera la « turbine » jusqu’à Saint-Germain-des-Fossés.

Un habitué de la ligne qu’il surnomme affectueusement « L’Odyssée ». Lui aussi est entré comme « arpette » aux ateliers de Saintes en 1976. Il est devenu aide-conducteur à 18 ans et, pour rien au monde, ne changerait de métier.

La gare de Saint-Sulpice-Laurière et sa rangée de gingko biloba sont en vue. Des arbres inconnus arrivés ici un peu grâce au chemin de fer, lors de la construction de la gare, en 1864. Un certain De Leffe, ingénieur ferroviaire de son état, s’était lié d’amitié avec le frère de l’Empereur, lors d’un voyage au Japon. Le prince de l’Empire du Soleil Levant lui fit cadeau de ces arbres d’Orient lors d’une visite en France. L’homme préféra les faire planter sur l’esplanade plutôt que dans son château. Et, cent trente-neuf ans plus tard, douze des treize arbres, impériaux, toisent encore les tuiles de la gare.

Le vieux turbotrain à Saint-Sulpice-Laurière ». Un matériel à bout de souffle. © Christophe RECOURA/LVDR

Le vieux turbotrain à Saint-Sulpice-Laurière ».
Un matériel à bout de souffle. © Christophe RECOURA/LVDR

 

Cette histoire, les conducteurs limougeauds de la transversale la connaissent tous. « Leur » ligne est un patrimoine. A Guéret, chef-lieu de la Creuse, une poignée de voyageurs est descendue. Une autre est montée. Le train a repris sa route affichant 75 km/heure au compteur.

Le relief est plus accidenté. Le viaduc de Busseau, ouvrage d’art de 1862 surplombe la Creuse 56 m plus bas. « D’une cabine de TGV, on n’a pas cette vue, hein ! », sourit Jean-Yves. Après 25 ans de conduite en Limousin, il n’entend pas quitter sa région pour les formules 1 du rail. Ce qui ne l’empêche pas de pointer les incohérences du mode de rémunération de son métier : « Le kilomètre du côté d’Aurillac sur des trains fatigués devrait valoir plus que le kilomètre en TGV sur une ligne nouvelle ». Jean-Yves Léger voudrait du matériel moderne. « Et comme maintenant il faut qu’on se tourne vers nos élus… », poursuit-il. Le relief est de plus en plus accidenté. Ça y est, c’est l’Auvergne. Les vaches lèvent la tête au bruit du RTG. Ici, sans les primes à la vache allaitante accordées par Bruxelles aux éleveurs, le pays se viderait un peu plus de ses habitants. En Limousin et en Auvergne, chemin de fer et agriculture, même combat, celui du maintien de la vie dans les campagnes. D’ailleurs, en gare de Montluçon, une trentaine de collégiens et lycéens des villages alentour se bousculent à l’ouverture des portes.

Quelques kilomètres encore et la riche plaine de Limagne s’ouvre devant le pare-brise de la RTG. 16 h 08 : Gannat, avant dernier « changement de bout » avant Saint-Germain-des-Fossés, ultime étape pour le Limougeaud. Là, il passera le relais à un collègue de Rhône-Alpes, puis la « turbine » filera à 150 km/heure vers Lyon, via Roanne. En soirée, Jean-Yves conduira encore et fera le chemin inverse jusqu’à Montluçon, étape de la nuit. Au petit matin, il reprendra encore et toujours sa transversale jusqu’à son port d’attache, Limoges. Pour combien de temps encore ? Tout dépend de la SNCF et du bon vouloir des quatre régions traversées…

Albert LE ROUX

Cet article est tiré du n°2903 paru le 25 juin 2003 dans La Vie du Rail dont voici la couverture ci-dessous :

 

Cet article est tiré du numéro 3857 de La Vie du Rail.

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Un Commentaire

  1. Güntürk Üstün 12 novembre 2021 16 h 24 min

    Encore une fois, il semble que l’avenir, qui a été attribué comme « malheureux et sans espoir » pour les trains de voyageurs nationaux conventionnels d’une importance vitale autres que les services de trains à grande vitesse en France (et dans plusieurs pays ferroviaires développés), dépend en réalité d’un complexe combinaison d’éléments nombreux et étroitement liés.
    Quels sont ces éléments? Les politiques gouvernementales de gestion des chemins de fer, la concurrence disproportionnellement forte des compagnies aériennes et routières, et bien sûr, la modification des préférences des passagers.
    L’essentiel est; ceux qui poussent les trains vieillissants hors du jeu ferroviaire actif -sans produire de solutions visionnaires- ne sont pas eux-mêmes, mais les êtres humains.

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