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    À 260 km/h, sur la ligne nouvelle. La vitesse réelle, apparaissant sur l'indica teur de vitesse « Jaeger » au-dessus du manipulateur de traction, a atteint ici la vitesse affichée à l'indicateur de vitesse imposée, de forme carrée. Le dispositif de V.I. a provoqué automatiquement le freinage rhéostatique de la rame, comme en témoignent les déviations de 0,25 kA observées aux deux ampèremètres « excitation » en bas à droite.

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    À 260 km/h, sur la ligne nouvelle. La vitesse réelle, apparaissant sur l'indica teur de vitesse « Jaeger » au-dessus du manipulateur de traction, a atteint ici la vitesse affichée à l'indicateur de vitesse imposée, de forme carrée. Le dispositif de V.I. a provoqué automatiquement le freinage rhéostatique de la rame, comme en témoignent les déviations de 0,25 kA observées aux deux ampèremètres « excitation » en bas à droite.

  • Arrêt au signal carré du kilomètre 56, présentant le carré fermé. Le mécanicien est descendu téléphoner…

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    Le signal s'avère être en dérangement. L'aiguilleur va transmettre par radio au mécanicien le texte d'un bulletin de franchissement.

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    Sur le tableau BT du bloc-cabine, contrôle de l’allumage des lampes de signalisation à l’aide du ponton-poussoir « test ».

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    Action au manipulateur du frein pneuma tique… On devine juste à gauche du bul letin de traction l'index du sélecteur de tension moteurs, placé sur « 900 V ».

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    Croisement d'un TGV au franchissement du viaduc sur la Saône.

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    Au dépôt de Lyon-Mouche, la veille peu avant 15h : consultation des tableaux Sécurité-Circulation de la ligne nouvelle.

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    Parmi les gestes accompagnant l'entrée sur ligne nouvelle (ou la sortie), le changement de canal radio et la manoeuvre du sélecteur des pantographes.

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    Fin de service à la Feuille du dépôt de La Mouche. Le mécanicien range les fiches-train qu'il a utilisées tout au long de sa tournée.

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    Les rames sont remisées au chantier de La Scaronne. Un nettoyage des glaces frontales s'impose…

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    Vérification des agrès de protection, de signalisation et de sécurité. Ici, la boîte à pétards…

Il était une fois dans la Vie du Rail – 31) Conduire le TGV

31 août 2018
- -
Par : Philippe Hérissé

Une nouvelle section animée par vous et pour vous, elle va nous permettre de revisiter l’histoire cheminote. Celle d’il y a 10, 20, 30, 40 ans…

Profitez de nos archives en nous signalant ce que vous souhaitez relire et redécouvrir. Retrouvez les nouveaux matériels, les grands travaux, les événements qui ont marqué la SNCF… Une plongée dans l’aventure du rail.

Faites-nous savoir vos envies dès à présent en nous écrivant au 29, rue de Clichy, 75009 Paris ou par mail à : margaux.maynard@laviedurail.com ou en commentant cet article.

 

Vous trouverez les notes explicatives des numéros entre parenthèses en bas de la page.

 

31) Il y a 36 ans. Conduire le TGV

Parmi les mécaniciens du dépôt de Lyon- Mouche, familièrement appelés « moucherons », les « TGVistes » participent avec leurs collègues parisiens à la conduite sur ligne nouvelle. Ici aussi, « faire l’heure », préoccupation de chaque instant pour tout conducteur, revêt souvent l’aspect méconnu de la performance quotidiennement réitérée. Nous proposons dans ces lignes le « film » d’une journée comme les autres… en tête du TGV 613. Précision d’importance : point de mise en scène il n’y eut, pour cette « opération-vérité ». La date retenue pour notre tournée se voulait arbitraire, et le conducteur que nous avons accompagné n’en avait nullement été préalablement informé…

Voie A en gare de Paris- Lyon : inexorable fuite du temps, les aiguilles d’une pendule de quai viennent d’abandonner leur indication de l’instant – 9h10 – et nous sommes un humide 29 décembre. L’éclairage fluorescent des abris parapluies se mire une ultime fois sur les quais, froids et trempés de la dernière averse. De lourds nuages reflètent encore le mauve orangé des lueurs nocturnes de la ville. Le TGV 613 – départ 9h15 à destination de Lyon – attend sagement à quai, une « unité multiple » composée des rames 6 (menée) et 19 (menante). Quelques voyageurs « retardataires » s’installent promptement à leur place…

Deux techniciens du Matériel descendent de la motrice de tête où ils ont exceptionnelle ment procédé à des mesures de vérification sur l’équipement de cab-signal (1). La cabine de conduite, climatisée, apparaît tel un havre de chaude quiétude, à l’obscurité découpée par les lumières blafardes des appareils de bord. Longue et silencieuse attente des minutes précédant tout départ… Le mécanicien du 613, René Moureau, CRRUP (2) au dépôt de Lyon-Mouche, annote le carnet de bord de l’engin, où n’est inscrite aucune restriction d’utilisation.

Départ !

Le « ding-ding » du dispositif de correspondance retentit en cabine. La pendule de quai marque 9h15 précises. Sur les TGV, l’autorisation de départ est en effet transmise par l’agent d’accompagnement, venu quelques instants auparavant serrer la main du mécanicien. Affichage de la vitesse 30 km/h avec le manipulateur « traction- freinage – VI » (3), lente rotation du manipulateur de traction sur le secteur « intensité » et le « décollage » de la rame est effectif. Dédale des aiguilles de l’avant-gare où l’oeil, lisant la position des lames, décrypte son chemin, contorsions du train sur les appareils « tg0,13 extra- courts », nous sommes à 30 km/h sur la zone des aiguilles jusqu’à la pancarte « R » bientôt rencontrée. Sur les tout premiers kilomètres, les vitesses limites TGV s’établissent à 100 km/h de la pancarte au passage supérieur de la Petite Ceinture, puis 110 km/h jusqu’à la passerelle de Charenton. Mais, par anticipation, la VI est déjà positionnée sur 130, vitesse de fond bien connue de Paris à Combs-la-Ville ; les moteurs de traction « chantent » et le convoi accélère comme pour se sauver au plus vite de la banlieue grise…

Le conducteur du 613 arrive la veille au soir à Paris sur le TGV 632. Ainsi, René Moureau a-t-il pris son service hier à 14h52 au dépôt de Lyon-Mouche. Il s’est rendu en gare des Brotteaux… en métro, a descendu le TGV 625 de Brotteaux à Perrache, l’a garé en W 625 au chantier de La Scaronne, puis a assuré le TGV 632 de Perrache à Paris-Lyon, remisant ensuite l’unité multiple titulaire à Bercy-Confl ans, comme le prévoit la journée 26 du roulement 160 (4), avec une fin de service « graphiquée » à 21h39 au dépôt de Paris. Le temps d’y dîner, d’y dormir, et présentait à 7h23 à la feuille du dépôt, pour naturellement couvrir la journée 27 :

– « Bonjour ! 613 au départ ».

– « La 6 et la 19 au C2 à la 63 ! », lui répondit le CTRA-D (5) alternant, lui indiquant par là même aussi le faisceau et la voie, soit l’emplacement à Bercy- Conflans des rames à dégarer. Marche à pied pour rejoindre ce chantier, puis René Moureau prenait possession des deux rames en UM (6) sur lesquelles il effectuait une « préparation réduite » (PR) : suite ordonnée d’opérations et de vérifications, mise sous tension et essais de l’appareillage. À 8h15, il conduisait « sous gare » cette UM en W (7), les rames étant à quai dès 8h30…

Malencontreux dérangement

Le triage de Villeneuve laissé côté droit, la traversée de la gare de Villeneuve-Saint-Georges avec son célèbre – car fort actif –poste 4, et nous nous infléchissons immédiate ment sur la gauche : voie 1 « Bruno », bien sûr ! Il est 9h24, nous sommes à l’heure. Le mécanicien décroche le combiné de la radio sol-trains :

– « 613 appelle le P4. Comment me recevez-vous ? ».

– « Je vous reçois très bien, 613 ».

– « OK et merci, c’était pour un essai radio ».

Un rapide coup d’oeil aux appareils sur pupitre permet de s’assurer de la parfaite marche de l’engin. Aucun pictogramme n’est allumé au « Lumitex », les quatre motrices « tractionnent » indépendamment l’une de l’autre, alimentées chacune par leur panto continu, comme prévu sous 1 500 volts, et il n’y a pas d’organe isolé. Le voltmètre « ligne » indique une tension de 1 700 volts à la caténaire ; les conduites générale et principale sont normalement alimentées, comme en témoignent les manomètres correspondants. Et nous croisons le TGV 602 entre Brunoy et Montgeron.

Combs-la-Ville, à 9h30 et à l’heure, nous ouvre théoriquement les portes du 160 km/h. Un geste précis sur le manipulateur « VI » pour afficher 150 au cadran. Aussitôt après, Lieusaint et ses ouvrages neufs de raccordement pour le tronçon nord nous donne rendez-vous en septembre 1983 : Lyon ne sera plus qu’à deux heures de Paris ! Mais voici, peu après Le Mée, la pancarte du PK (8) 42,7, origine d’une limitation à 150 km/h pour la courbe en gare de Melun franchie à 9h37 et à l’heure. La reprise se situe à la pancarte du PK 45,9 précédant le souterrain de La Rochette. La VI demeure à 150 et l’on tire actuellement entre 250 et 300 A, lus aux ampèremètres « courant moteur ». Inutile en effet d’afficher une intensité par trop importante en déplaçant l’index du manipulateur de traction très à gauche. Nous « faisons l’heure » sans « tractionner » trop fort, donc en réalisant une conduite plus économique…

Mais, alors que le jour est maintenant tout à fait levé sur un ciel toujours aussi nuageux… au loin, dans la trouée des voies parmi les sombres taillis de la forêt, le pinceau d’un feu jaune se profile. La pendule de bord marque 9h42 et le panneau précédant le « quai du Muguet » (9) présente bel et bien l’avertissement. Le mécanicien le « vigile », arrête le son continu des signaux fermés déclenché au pas sage du crocodile, ramène le manipulateur de traction à zéro et fait sa première dépression au robinet cranté du frein. L’allure du train chute d’un coup, alors que déjà les yeux tentent vainement de se porter à la rencontre du signal suivant. Encore quelques instants… et les deux feux rouges du carré fermé apparais sent.

Nouvelle et ultime dépression au manipulateur de frein et le convoi s’immobilise en amont du panneau dont on peut désormais lire la plaque de repérage : « 56 » ; nous sommes à 56 kilomètres de Paris. René Moureau descend de l’engin, sous une pluie fine, pour se présenter au téléphone du signal. « Reprenez par la radio » lui est-il alors répondu. Le temps de remonter à bord et de décrocher le combiné :

– « Mécanicien du 613 arrêté au kilomètre 56 sur carré fermé ».

– « Oui, 613, on se renseigne. » Le conducteur commence d’annoter son bulletin de traction au moment où l’aiguilleur du poste le rappelle par la radio :

– « Mécanicien du 613, on vous transmet un bulletin CBA (10) ; êtes-vous prêt ? »

Sur son carnet de poche, le conducteur retranscrit alors le texte du bulletin que lui dicte l’aiguilleur :

– « Ordre est donné au mécanicien du train 613 de franchir fermé le signal carré du PK 056. Le mécanicien doit marcher à vue jus qu’à la fin du canton qui suit ce signal. Autorisation n° 886 ».

– « Bien reçu ».

– « Terminé ». La pendule de bord indique maintenant 9h49. Les minutes semblent galoper lorsque l’on est arrêté. Desserrage de la rame, et l’on franchit le panneau, en commande manuelle. Silence : le signal n’était pas « appuyé » de détonateurs. Des agents de l’Équipement travaillent auprès d’une armoire électrique. Mais ils semblent hors de cause, ne répondant pas au geste de la « tôle ayant tourné (11) » qui leur est adressé de la cabine. À 9h53, découverte du signal suivant, précédé de ses mirlitons : « Il est vert ! ». Néanmoins, la marche à vue continuera d’être observée – bien sûr ! – jusqu’au franchissement effectif du panneau voie libre, à partir duquel l’on recommencera à « tirer ».

Désormais, il va falloir « taper dedans » : 160 affiché à l’indicateur de VI et manipulateur de traction à fond. Malheureusement pour nous, un « rapace » de nuit enlevé par une gourmande CC 7100 démarre sur la voie 2, dans le même secteur électrique, faisant chuter un long moment la tension en ligne en deçà des 1 400 volts. Fontainebleau et son fameux via duc sont finalement passés à… 9h56, au lieu de 9h43 comme mentionné sur la fiche-train.

Le dérangement de signal se solde par 13 minutes de retard, qu’il importe dès lors de regagner sans pour autant gâcher de l’énergie…

Pleins feux sur le conducteur

Le TIV d’annonce « 150 » de type « B » (12) à Thomery permet d’illustrer une utilisation pratique de la « vitesse 1mposée ». Le « 150 » a été affiché suffisamment tôt à l’indicateur de VI par action sur le manipulateur « traction-freinage-VI ». Ensuite, l’effort de retenue jugé nécessaire a été affiché sous forme d’une intensité à l’aide du manipulateur de traction, ce qui provoquait la mise en action automatique, en freinage de maintien, du rhéostatique. Et l’on était à 150 km/h, « au trait », à la pancarte « km 63,6 » origine de la zone à 150 correspondant à la traversée de Moret.

Les bâtiments de cette gare, tels les rocs extrêmes d’une presqu’île, paraissent violemment séparer les courants du Bourbonnais, aux voies fuyant à droite, et de la Bourgogne, aux voies fuyant à gauche, ce dernier itinéraire nous étant évidemment tracé. Moret passé à 9h58 (pour 9h46, soit avec 12 minutes de retard), la VI se voit à nouveau positionnée sur 160 en gare de Saint-Mammès. Nous tenons cette vitesse un relativement court moment, la traversée de Montereau faisant l’objet d’une limitation à 150 à l’issue de l’alignement droit la précédant. Au « Poste unique » – ancêtre bien connu des actuels PRS – nous faisons 10h04 (pour 9h51), avant d’atteindre les fameux sauts-de-mouton aux aiguilles télécom mandées du kilomètre 86, autorisant tout re classement des circulations sur les quatre voies…

René Moureau a 38 ans, et fait partie de la toute dernière « couvée » des conducteurs formés TGV. Entré à la SNCF en 1962 comme mineur ouvrier ajusteur aux ateliers d’Oullins Machines, il demandait, en rentrant de l’armée sa mutation au dépôt de Lyon-Mouche, en vue de devenir fractionnaire. Y débutant en 1965, il ne devait plus quitter cet établissement, nommé tour à tour élève-conducteur (ELCR) en 1969, conducteur de route (CRRU) en 1972 et conducteur de route principal (CRRUP) en 1981. Autorisé sur toutes les séries d’engins classiques que les « moucherons » sont susceptibles de conduire (et elles sont nombreuses !), il est de plus autorisé TGV depuis le 5 décembre 1981. En connaissance de ligne, il a « Marseille, Saint-Étienne, Genève et Chambéry, et récemment la ligne nouvelle… ce qui représente « énormément de choses dans la tête, et un tas de documents dans la sacoche ». Naguère versé au roulement 120 – alors roulement de vitesse du dépôt – il « monta » au 160 le 16 décembre dernier, date à laquelle il fit le premier TGV « à son compte ».

– « La formation complémentaire TGV débuta pour nous le 9 novembre de l’année précédente, le contrôle de connaissances eut lieu le 4 décembre, et nous étions autorisés dès le lendemain. »

À la différence des « anciens » qui bénéficièrent indiscutablement de la période des essais – roulant en endurance sur les lignes classiques, puis en simulation sur la ligne nouvelle – les derniers conducteurs formés durent s’adapter assez rapidement. Mais ils possédaient déjà toute une carrière derrière eux, et n’eurent pas, en outre, le temps de contracter certaines « mauvaises habitudes » propres aux essais…

La maçonnerie caractéristique de la tranchée de Pont-sur- Yonne annonce indubitablement la gare (13), traversée à 10h12 (avec un retard toujours égal à douze minutes), et le mécanicien de commenter : « L’une des gros ses différences entre la conduite sur ligne classique et celle sur ligne nouvelle vient de ce que dans le premier cas, l’on regarde essentiellement à l’extérieur, alors que, dans le second, tout se passe à l’intérieur de la machine : l’on y perçoit l’équivalent des signaux classiques par l’intermédiaire de la signalisation de cabine, aussi n’a-ton pratiquement pas à regarder à l’extérieur. Néanmoins, il faudrait avoir en permanence un oeil dehors et un oeil de dans, selon l’expression d’un chef de traction qui assura notre formation. L’on s’y adapte toutefois relativement bien… ». Précisons que cette bonne adaptation reflète aussi un travail personnel important réalisé par chaque conducteur. « Mais il nous faut faire preuve à chaque instant d’une attention plus soutenue encore, car nous roulons quand même à 260 km/h… »

Sens atteint à 10h16, pour 10h05 heure de passage prévue à la marche : une nouvelle minute de notre retard vient d’ores et déjà d’être regagnée. « Pour ce qui est de la technologie de l’engin lui-même, l’apparition des 7200 constitua assurément une appréciable transition. Quant au confort de la cabine de conduite, il n’a plus rien de commun avec celui des séries plus anciennes, les 7100 avec leur siège fixé à la paroi, ou les selles de bicyclette des 202… »

Au passage à Villeneuve-sur- Yonne, la pendule de bord marque 10h21. Coup d’oeil à la fiche-train pour connaître « l’heure que l’on aurait dû faire » : 10h11. Nous n’avons désormais plus que 10 minutes de retard. René Moureau poursuit :

– « Autre différence, le TGV roule le jour, alors que, de par notre position géographique, à Lyon- Mouche, nous avions beaucoup de nuits graphiquées au roulement 120. Ainsi le “TGViste” arrive-t-il à coucher dans un lit chaque nuit : chez lui ou au foyer d’un dépôt en repos hors résidence. Notre roulement 160 se compose de trois “décades” de six jours “pur TGV” sur Paris et Saint-Étienne et d’une “décade” de quatre jours aux trains classiques (une tournée sur Marseille, un demi-tour Genève et une tournée de Melun). Une journée du roulement revient en moyenne tous deux mois.

Aujourd’hui, c’est un « petit » déplacement. Ayant pris mon service hier à 14h52 et le finissant tout à l’heure à 13h02, je rentrerai après être parti un peu plus de 22 heures de la maison. Mais lorsque, par exemple, nous faisons les journées 11 et 12, nous prenons à 12h30 pour finir le lendemain à 22h03, et demeurons ainsi trente-quatre heures partis de la maison… Quelquefois, les journées ne sont pas tracées comme nous le souhaiterions. La 11e, à l’amplitude pourtant proche des 10 heures, ne comporte qu’un seul “beau” train. À la 31e, nous commençons à 7h25, dégarons le 610, faisons le 610 de Perrache à Paris, puis le 625 de Paris aux Brotteaux où nous arrivons vers 16h ; mais au lieu de dormir chez nous, nous partons “en voiture Saint-Étienne (14)” au 703 pour y dé coucher et débuter la 32e le lendemain à 5h43, journée au cours de laquelle nous par courons 963 kilomètres… Quant aux demi -tours (15) Paris, ils nous paraissent parfois un peu long, malgré les coupures… C’est La Mouche qui effectue chaque jour l’ouverture de ligne à 160 km/h – le “balayage” – sous la forme d’un demi-tour de Vergigny en 696 et 697, avec une prise de service à 3h12… »

Conséquence de la grande vitesse, la moyenne journalière des distances parcourues au roulement 160, égale à 505 kilomètres, s’avère légèrement plus élevée que celles apparaissant aux roulements « nobles » classiques (la moyenne du 120 de La Mouche étant néanmoins montée par le passé à 404 kilomètres).

Au « racco » de « Saint-Flo »

« Inconvénient de notre rythme de vie assez particulier, nous participons très peu à la vie familiale. Mes deux enfants de 16 et 11 ans, il m’est déjà arrivé de ne les voir qu’une ou deux fois dans une décade : je partais, ils étaient à l’école, je revenais, ils étaient couchés », nous confie René Moureau, qui cependant réussit à s’occuper d’équipes de football de jeunes et à s’adonner de temps à autre au ski de fond…

Tandis que nous conversions, nous franchissions les gares de Saint-Julien-du-Sault à 10h24, Joigny à 10h28 et finalement Laroche à 10h32, avec un retard encore égal à 10 minutes… Nous roulons toujours à 160 km/h sur voie 1, il est maintenant 10h36. En haut de son portique, le TIV « sur pointe » 120 est présenté, pour prendre en déviation l’aiguille du kilomètre 165,9. Situation provisoire, provenant de ce que nous étions « tracés voie 1 ». Manipulateur de traction ramené à zéro et action sur le frein pneumatique. Au droit de l’aiguille, l’indicateur de vitesse a chuté à 120, et les lames nous dirigent avec un léger balancement voie 1 bis. Nouveau TIV « sur pointe », cette fois à taux de limitation 150, pour franchir en déviation l’aiguille du kilomètre 167,5, origine du raccordement de Saint-Florentin. Sa présentation nous rassure : on nous « envoie » bien sur la ligne nouvelle. Changement de la sonorité des rails, comme nous nous infléchissions sur la gauche, laissant en contrebas l’artère PLM dont nous semblons désormais littéralement décoller. Tout va très vite, lors du franchissement de la section de séparation. Dès le signal à distance « baissez panto », le mécanicien a placé la clé du « sélecteur-panto » sur « 0 », provoquant ainsi l’abaissement des quatre pantographes continu avant le signal d’exécution, et l’a retirée. Pendant le franchissement sur l’erre de la section neutre, il a déplacé à l’aide de cette clé l’index du « sélecteur- tension » de la position « C » (continu) à la position « M » (monophasé). Après dégagement par la rame du signal de fin de parcours, il a réintroduit la clé dans le « sélecteur-panto », et l’a placé sur la position « N » (normal), provoquant alors la montée des deux pantographes monophasé des motrices arrière. Entre-temps, la signalisation de cabine s’est armée sur l’indication « 160 E », apparue au visualisateur des vitesses limites à 10h38. Manoeuvre inverse de celle réalisée préalablement à l’abaissement des pantographes continu, le disjoncteur est refermé et les auxiliaires « remis », excepté… le chauffage. Le levier « climatisation remorques » échappe au doigt du mécanicien, et l’agent de train appellera par l’interphone quelques instants plus tard pour signaler le défaut de climatisation…

Bien vite le visualisateur présente l’indication « Vl ». VI positionnée sur 220 et index du manipulateur de traction déplacé à l’extrémité du secteur « intensité ». Au PRS 15 de Vergigny – au coeur de la montée en vitesse – l’on entend « chanter » les moteurs. Avec une tension ligne juste égale à 25 000 V, les ampère mètres « courant moteur » dévient à 700 A.

En route pour le 260 km/h

Après avoir ramené momentanément le manipulateur de traction à zéro, le mécanicien manoeuvre le « sélecteur tension moteur », à gauche du manipulateur, de la position « 1 100 V » à la position « 900 V » : « Bien que nous soyons un peu en retard, nous ne ferions pas mieux à 1 100 V ! ». Sous courant monophasé seulement, cette manette à trois positions permet de sélectionner la tension d’alimentation des moteurs de traction. Normalement disposée sur « 1 100 V », elle est placée sur « 900 V » pour réaliser sur la ligne nouvelle une marche économique permettant, dans des conditions normales de circulation, d’assurer l’horaire sans manipulations autres que celles imposées par les points singuliers de la ligne. Au kilomètre 137, en pleine rampe de 30, nous sommes à 220 km/h avec des intensités de 500 ampères appelées aux moteurs de traction.

À 10h45, nous traversons la zone du PRS 16 de Tonnerre, premières aiguilles de banalisation et premier évitement (par ailleurs situé côté impair), que l’on rencontre en rentrant par le raccordement de Saint- Florentin-Vergigny. Notre retard n’est plus que de sept minutes. Apparaît, aussitôt derrière, le premier sectionnement (Chéron), celui-là de type « fixe ».

Six minutes plus tard, nous abordons la bifurcation de Pasilly implantée au PK 160 de la ligne nouvelle. Le raccordement de Pasilly-Aisy, long de quelque 17 kilomètres, re joint la ligne PLM en amont de Dijon. Faisant immédiatement suite au PRS 17 de Pasilly, le sectionnement de la sous-station de Sarry, qui n’est pas effacé :

« Tous les sectionnements sont actuellement présentés, à la demande d’EDF, en raison de problèmes d’équilibrage de phase ». Et, après une courte pause, René Moureau reprend : « En fait, nous devons faire preuve, sur la ligne nouvelle, d’une attention supérieure, du fait de la vitesse, mais aussi – provisoirement – du manque d’habitude. À mon avis, il faut être plus concentré pour faire un TGV à 260 km/h qu’un train classique sur la ligne normale. Sur un autre plan, celui des conditions de travail, le TGV n’apporte rien, ni en mieux, ni en moins bien… ».

Au travers des glaces frontales de cabine, constellées pour un instant de minuscules gouttes de pluie migrant en bon ordre de bas en haut avec le souffle de la vitesse, le paysage ferroviaire si caractéristique de la ligne nouvelle développe sa lancinante succession de pentes et de rampes. Au passage à Toutry (PRS 18), nous faisions 10h57, pour 10h49 heure de passage théorique inscrite sur la fiche-train placée sous les yeux du mécanicien. Huit minutes de retard qu’il va désormais nous falloir résorber…

Dix kilomètres après avoir franchi l’élégant viaduc du Serein, sis au PK 192, voici Lacourd’Arcenay (PRS 19) et il est alors 11h03 : « Toujours nos huit minutes ! » Une action sur le manipulateur « traction-freinage-VI » pour amener l’aiguille de l’indicateur de vitesse imposée en regard de la graduation « 260 », puis l’index du manipulateur de traction est déplacé sur le secteur intensité jusqu’à son extrémité gauche : l’intensité affichée est maximale, la montée en vitesse s’amorce. Au PK 218, le sommet d’une rampe de 11 se voit abordé à 250 km/h. Nous descendons alors en pente de 24, puis de 33 où nous atteignons le 260 au PK 221, vitesse désormais maintenue en « tirant » des intensités de 200 à 400 ampères aux moteurs de traction.

Au-delà de Vianges (PRS 20), peu avant le viaduc de l’Arroux et sous un léger crachin, notre vitesse oscille entre 250 et 260 km/h. Lorsque la conduite s’effectue en « VI », comme c’est le cas la plupart du temps, le dis positif ajuste automatiquement la vitesse de la rame à celle affichée sur l’indicateur de VI, mais à condition toutefois que l’intensité affichée avec le manipulateur de traction soit suffisante (et que le profil le permette). L’effort de traction ou de retenue peut être réglé à volonté à l’aide du manipulateur de traction…

Au PRS 21 de Sully, nous faisons 11h14 (au lieu de 11h05, heure prévue à la marche). Avec le viaduc de la Drée aussitôt suivi du fameux viaduc de la Digoine, les premières rampes de 35, alliées au sectionnement de la sous-station de Saint-Martinde- Commune, ralentissent très légèrement notre allure, la « marche au trait » à 260 étant de nouveau effective dès 11h16, au PK 264. Tandis que nous approchons de Montchanin, le profil de vient plus spectaculaire, à l’image de ce qu’il est sur la dernière partie de la ligne. Impressionnant coup d’oeil vers le kilomètre 270 : nous plongeons littéralement en pente de 35, et aussitôt remontons, en rampe de 35, afin de nous hisser au niveau de la gare.

« Tout est dessus ! »

Traversée en vitesse de la gare du Creusot-Montceau-Montchanin aux infrastructures à peine entrevues : il est 11h19 et notre retard s’élève à sept minutes. Dès la sortie, l’indication « 220 A » apparaît au visualisateur des vitesses-limites, remplacée, après le sectionnement de Saint-Laurent-d’Andenay, par l’indication « 220 E » : séquence restrictive avant d’aborder une longue pente de 35. La traction est coupée (manipulateur ramené à « 0 »), nous descendons sur l’erre, le 260 demeurant affiché à la VI. La vitesse, ayant d’abord chuté, reprend naturellement au fil de la pente. Un déplacement du manipulateur de traction vers la gauche permet alors d’obtenir l’effort de retenue nécessaire au respect de la vitesse affichée par mise en action automatique du freinage rhéostatique, les ampèremètres « excitation » déviant à 400 A une fois le 260 atteint.

La même séquence de signalisation est observée aux abords du PRS 23 de Vaulx-en-Pré (11h24 pour 11h17), peu avant une autre longue pente de 35, le visualisateur présentant à nouveau l’indication « VL » une fois la descente amorcée.

Au passage à Cluny – le PRS 24, aisément reconnaissable à son toit de tuiles imposé par l’environnement – nous faisons 11h29, accusant toujours un retard de six minutes. L’on « attaque » maintenant le col du Bois-Clair, point culminant de la ligne. Manipulateur « à fond », l’on se lance dans la rampe de 35 : 500 A aux ampèremètres « courant moteur », « Tout est dessus ! ». Une fois le sommet franchi – à 200 km/h – il suffit alors de « couper tout » et de se laisser à nouveau descendre sur l’erre en pente de 35, se jouant ainsi du profil moteur. Comme aujourd’hui nous sommes en retard, il faut néanmoins « retirer dessus » assez vite…

À 11h34, nous traversons en pleine vites se – 260 km/h – la gare de Mâcon-TGV. Un regard à la fiche-train nous confirme que notre retard n’est plus que de quatre minutes ! Aiguilles du raccordement de Pont-de- Veyle, sui vies du désormais célèbre viaduc, dominant un paysage exceptionnellement inondé : « Ne vous y trompez pas, ce n’est pas déjà le Mékong », précise le conducteur, « simplement la Saône qui a débordé… ». Fini cette fois, le profil accidenté, voici la plaine, avec seulement quelques ondulations pour rejoindre Lyon. Au passage à Cesseins (PRS 27), la pendule de bord marque 11h40 et nous devions faire 11h37 : plus que trois minutes !

– « D’habitude, à partir de là, on ferme et on va jusqu’à Brotteaux en se laissant glisser sur une trentaine de kilomètres. Une belle marche sur l’erre ! Mais aujourd’hui, avec ce léger retard, il va falloir encore tractionner… ».

Et nous roulons toujours à 260 km/h, manipulateur « à fond »…

Toutefois, à partir du kilomètre 377 – vers la sous-station des Meunières et son sectionnement à ce moment éteint – l’on commence à réduire la traction : la sortie approche. Il est 11h45, le « 220 A » apparaît au visualisateur, suivi du « 160 A », puis du « 160 E ». L’on change manuellement de canal radio, abandonnant le canal 9, propre à la ligne nouvelle, pour revenir sur le canal 1 . Le désarmement de la signalisation de cabine s’effectue automatiquement au franchissement de la pancarte « Fin TGV », le premier signal classique est à voie libre et nous allons pénétrer sous la section de séparation : coupure de la traction, retrait des auxiliaires, ouverture des disjoncteurs, descente des pantos monophasé, sélection de la tension 1 500 V, montée des patos continu au dégagement de la section par le dernier véhicule, fermeture des disjoncteurs… Nous sommes à Sathonay, il est 11h49.

Pour la conduite du TGV, la divergence apparaît finalement infime, entre les études préalables et la pratique de chaque jour. Selon Pascal Masson, ingénieur à la direction du Transport et véritable « artisan » du projet sous l’angle Traction, la réussite tient essentiellement à deux facteurs :

– le recours à des « praticiens » qui menèrent simultanément, en un remarquable travail d’équipe, et la préparation des documents, et la formation des hommes ;

– les hommes eux-mêmes, qui prirent l’affaire à coeur et firent sans doute un effort considérable si l’on en juge par le résultat. Et il poursuivait : « Nos conducteurs en ressentent une certaine fierté, dans le bon sens du terme : ils sont contents d’être là. Nous disposons d’un capital humain sensationnel, avec lequel le chemin de fer pourrait entreprendre beaucoup d’autres grands projets… ».

Au sortir du long tunnel des Meunières (1 190 mètres), la tour de la Part-Dieu se cache dans un mince brouillard diffusant l’éclairage or du soleil d’hiver. Après avoir marché à la vitesse limite de 90, nous sommes bientôt à 60, suite à la rencontre du TIV d’entrée de gare. Lyon-Brotteaux : une dernière action au manipulateur du frein pneumatique et la rame s’immobilise à quai à 11h55, avec seulement une minute de retard. Jaune clignotant sur le panneau de sortie : « On est attendu ! D’habitude, on arrive plus souvent sur les deux rouges… ».

Départ à 11h58, et à l’heure. Respectant une limitation temporaire de vitesse à 80, nous longeons les travaux de la future gare de la Part-Dieu. Un panneau présentant le « ralentissement 60 », puis un second le « rappel 60 » : nous entrons en gare de Perrache L’on perçoit les brusques mouvements de bogies bridés par les courbes de faible rayon ou les appareils de voie. Le pont sur le Rhône, un avertissement fermé à l’éclat jaune sur fond, de marquise noire, le défi lé d’un quai rempli de voyageurs, une dernière action au robinet cranté du frein pneumatique, et le 613 s’immobilise en douceur au droit de la pancarte, orange « TGV », à 12h05 très précises… faisant impeccablement l’heure ! La descente des voyageurs achevée, le mécanicien, après « changement de bout » conduit les rames 6 et 19 au chantier de la Scaronne, et finit son service à La Mouche à 13h02. Parvenu en fin de « décade », il se voit attribuer deux repos, pour repartir… le jour de l’An. Incessante ronde de TGV qui ne connaît point de trêve, mais l’on ne saurait transiger avec les exigences propres au service public…

 

(1) Ce qui imposera au mécanicien de pratiquer un nouveau test du cab-signal à l’aide des équipements fixes d’essai (boucle inductive entre files de rail, au droit de la motrice, alimentée par générateur de fréquence). Réglementairement, « bon pour le Matériel » n’implique pas nécessairement « bon pour le Transport traction » !

(2) Conducteur de route principal.

(3) Vitesse imposée.

(4) Le roulement 160 de La Mouche est le roulement des « TGVistes »· Il comporte 22 journées de travail effectif réparties en trois « décades » de six jours « pur TGV » et une « décade » de quatre jours sur lignes classiques.

(5) Chef de traction dépôt.

(6) Unité multiple.

(7) Train de matériel vide voyageurs.

(8) Point kilométrique.

(9) Ce quai en pleine forêt côté impair fut édifié en vue d’y déposer les randonneurs.

(10) Bulletin de franchissement d’un carré fermé en black automatique.

(11) La « tôle » désigne familièrement la cible des signaux mécaniques.

(12) Tableau indicateur de vitesse ne concernant que les trains autorisés à dépasser la vitesse de 140 km/h.

(13) Suivie du non moins caractéristique aqueduc…

(14) C’est-à-dire en voyageur jusqu’à Saint-Étienne.

(15) Service assuré « même période », sans intercalation d’un repos hors résidence. Au 160, il n’y a pas plus de demi-tours que dans les roulements habituels.

 

Cet article est tiré du numéro 1830 de la Vie du Rail paru le 11 février 1982 dont voici la couverture :

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