À la veille de la publication du rapport Spinetta, prévue le 15 février, l’inquiétude montait dans le monde cheminot. Et les partisans du chemin de fer commencent à donner de la voix.
Car le chemin de fer n’a pas le vent en poupe. Le 1er juillet, à Rennes, le président de la République appelait à en finir avec les grands projets. Et, quasiment, à tourner la page ouverte il y a une quarantaine d’années avec la première ligne grande vitesse Paris – Lyon. Auparavant ministre de l’Économie, Emmanuel Macron avait associé son nom à la libéralisation du transport par autocar. Pour préparer la future loi sur les mobilités, le gouvernement a confié un rapport au Comité national des infrastructures, présidé par Philippe Duron. Rapport solide, intéressant, mais dont la tonalité pro-routière est assez sensible. Et désenchantée quand il s’agit du train, et des espoirs déçus de report modal… Restait à venir, alors que nous bouclions, le rapport Spinetta. L’ancien patron d’Air France KLM a été chargé de repenser tout le système ferroviaire. La conception générale des dessertes, et l’équilibre entre grande vitesse et services régionaux. Le modèle économique. La mise en place de la concurrence. Ce qui nourrit les inquiétudes sur le statut des cheminots. Et celui de la SNCF.
Un très grand débat est ouvert à l’occasion de la future loi sur les mobilités. Nous avons, dans le numéro 3664 de la Vie du Rail duquel est tiré cet article, décidé de donner un écho particulier aux craintes des cheminots et à leur mobilisation en faveur du train.
Nous avons lu avec grand intérêt un texte de Bernard Aubin, syndicaliste, secrétaire général de First, et observateur-blogueur attentif. Nous savons que le syndicat qu’anime Bernard Aubin ne fait pas partie des organisations représentatives. La représentativité est un critère très important et qui nous guide le plus souvent. Pour une fois, nous faisons une exception et publions un texte, qui nous semble exposer avec talent des opinions répandues dans le monde cheminot.
D’autre part, dans le cadre de ce grand débat, nous avons publié, dans notre numéro du 19 janvier dernier de la Vie du Rail, une tribune d’Yves Crozet, économiste des transports qu’on peut dire libéral. À la suite de cette publication, nous avons reçu une réponse de Didier Le Reste et d’Aurélien Djament, de la Convergence Nationale Rail. Rappelons que Didier Le Reste a été secrétaire général de la CGT Cheminots de 2000 à 2010. Nous avons aussi reçu une lettre d’un ancien cadre dirigeant de la SNCF, Gérard Mathieu. Deux textes d’horizons différents, qui partagent la même inquiétude devant la montée de la route et la même volonté de défendre le rail. La convergence de ces textes avec l’analyse de Bernard Aubin nous a frappés. Et nous a conduits à publier ce qui apparaît comme la manifestation, sous trois formes différentes, d’une opinion forte dans le monde cheminot. Une nouvelle pièce versée au débat. Mais qui ne le clôt pas.
80 ans. Et si c’était le dernier anniversaire de la SNCF
Par Bernard Aubin*
S’il ne se fait pas désirer par tous, le « rapport Spinetta » se fait attendre. Sa parution, prévue début janvier, a été décalée pour ne pas parasiter la publication d’un autre texte, commis par l’ex-député Duron recasé à la tête d’un Conseil d’Orientation des Infrastructures. C’est du moins l’explication officielle. Une autre, qui transpire des couloirs du Ministère des Transports, serait plutôt que les propositions de l’ex- PDG d’Air France-KLM, qui aurait bien sûr travaillé en toute impartialité, feraient l’objet des derniers ajustements d’Élisabeth Borne. Il serait, en effet, bien dommage que le Gouvernement se retrouvât en difficulté suite à quelques divergences entre ses orientations, retenues de longue date, et des propositions dont le seul but est de lui servir d’alibi technique. À défaut, d’ailleurs, de lui servir d’alibi politique car le sujet de l’avenir du système ferroviaire a été écarté de tous les débats des « Assises Nationales de la Mobilité ». Des transports en commun sans train demain ? Impossible ? Pourtant, l’acronyme SNCF et le mot « train » ont été bannis de tous les débats, y compris ceux sur la multimodalité… Premier indice.
Nous n’entrerons pas dans le détail des ingrédients qui compensent ce cocktail explosif, ou lytique pour la SNCF. Mais jamais les menaces pesant sur l’Entreprise n’ont été aussi nombreuses et n’ont autant convergé vers un probable éclatement. Comme déjà écrit par mes soins à maintes reprises, la SNCF, telle qu’on la connaît, âgée de 80 ans cette année, risque bien de fêter son dernier anniversaire. La collecte de documents historiques, censée marquer l’événement, fait plutôt figure de testament.